Grèce : la grande déprime

La crise de Syriza et l’échec de l’Unité populaire entraînent toute la gauche dans un profond doute. Correspondance, Angélique Kourounis.

Angélique Kourounis  • 14 octobre 2015 abonné·es
Grèce : la grande déprime
© Photo : Mehmet/Anadolu Agency/AFP

La gauche grecque est dans les choux. Et quand on parle de la gauche grecque, il ne s’agit pas que de Syriza, dont l’aile gauche a fait sécession pour former le parti de l’Unité populaire (le LAE, en grec). Non, on parle de toute la gauche. De celle qui siège au Parlement et de l’autre, plus virulente, pudiquement appelée la gauche extraparlementaire. Celle qui descend dans les rues, qui en ce moment s’est retirée dans un coin pour lécher ses plaies. L’une de ses composantes les plus importantes, Antarsya, littéralement « Révolte », s’est scindée entre ceux qui ont rejoint le LAE et ceux qui ont décidé de continuer seuls, refusant en septembre dernier de voter pour le nouveau parti. Résultat, les 0,86 % de voix qu’Antarsya a récoltées ont manqué au LAE, qui, avec 2,86 %, n’a pas pu entrer au Parlement.

Du coup, les débats au sein de la gauche n’en sont que plus violents. Despoina Koutsouba, égérie d’extrême gauche qui a fait campagne en faveur d’Antarsya, s’attire les foudres de ses anciens camarades. « On a perdu une occasion unique de faire entrer la gauche au Parlement », maugrée Ourania, retraitée. Bien qu’opposée à cette ligne, elle a suivi la logique du parti : « Nous sommes restés fidèles à notre idéologie, mais nous avons cassé le LAE, qui aurait pu entrer au Parlement. On a gagné quoi ? Toute la gauche est maintenant en dehors de la Vouli [le Parlement grec, NDLR] et elle va de nouveau attendre quarante ans avant d’y retourner. » Car, pour cette gauche-là, il est clair qu’en signant le troisième mémorandum d’austérité, Syriza ne fait plus partie de la gauche. C’est pourquoi Irini, enseignante et militante d’Antarsya, a choisi de voter pour le LAE alors qu’aux élections de janvier elle avait voté Syriza. « En janvier, il fallait chasser la droite et donner une chance à la gauche grecque de gouverner. J’avais d’importantes réserves, mais je pensais qu’il allait assurer un minimum. Au référendum, les masques sont tombés. Il était impossible de voter à nouveau pour Syriza. »

En fait, tous à gauche ont cru à ce minimum : la réouverture d’ERT (la chaîne de télévision), la mise en place d’une politique sociale pour faire face à la crise humanitaire, la réembauche des fonctionnaires injustement licenciés, le frein aux privatisations sauvages, l’affrontement avec les créanciers étaient autant de gages positifs mais qui n’auront duré que le temps de l’asphyxie financière du pays. « Pendant six mois, on y a cru, explique Takis, 50 ans, ex-militant de Syriza, malgré tous les signes avant-coureurs. On a joué l’unité mais, après le référendum, et surtout avec les élections organisées dans le seul but de chasser l’aile gauche du parti, la partie était perdue. » Takis n’a pas voté le 20 septembre, et Kostas, cadre de Syriza au Pirée, non plus. Pour ce pompier de 40 ans, militant de gauche depuis toujours, la scission LAE/Syriza était une erreur. « Je ressens autant de peine et de colère pour ceux qui sont restés à Syriza que pour ceux qui en sont partis, dit-il. Il aurait fallu détruire totalement Syriza pour reconstruire autre chose. Ils ont voulu sauver les meubles, mais il n’y a plus rien à sauver. La gauche n’existe plus. Il aurait fallu recommencer à zéro, attendre le temps qu’il faut pour se reconstruire, se redéfinir et refonder des organes avec de nouvelles forces. » Comme beaucoup, il a quitté le comité central du parti.

La dernière grosse pointure ayant claqué la porte, il y a une semaine, est Dimitri Panagoulis, frère d’Alecos Panagoulis, à l’origine du premier attentat contre la junte des colonels en 1967. Mais la jeunesse de Syriza a aussi démissionné en force dès le 13 juillet, à la signature de l’accord avec les créanciers, ainsi que 120 membres du comité central, marquant ainsi la fin du rêve d’une gauche unie, forte, capable de gouverner. Pour Irini, comme pour beaucoup, « Tsipras a détruit la gauche, car il n’a fait que rentrer dans les pantoufles du Pasok, le parti socialiste grec. En fait, il fait exactement ce qu’il disait combattre : du neuf avec du vieux ». Sia Anagnostopoulou, ministre déléguée à la Nouvelle Génération, tempère : « Tsipras a réussi à fissurer le bloc européen, ce n’est pas rien. Avec l’accord signé, il a gagné du temps et de l’argent pour mettre en place une politique parallèle. Il faut nous laisser le temps de gouverner et juger après. » Même son de cloche chez Théano Fotiou, ministre déléguée au sein du ministère du Travail : « Nous avons une légère marge de manœuvre, même sous ce corset d’austérité. Nous allons tout faire pour amender l’application de l’austérité tout en restant fidèle à notre signature. » Pour Alexis Tsipras, « le but désormais est de satisfaire les créanciers pour que la troïka parte au plus vite ». L’avenir dira s’il peut remporter son pari ou si Syriza est vraiment devenu le nouveau parti social-démocrate d’Europe. En attendant, les organisations, qui préparent de nouvelles journées d’action à la fin du mois, ont fait savoir que le Syriza « de Tsipras » n’est plus le bienvenu dans les cortèges.

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