Le contrôle au faciès, triste banalité

Stop le contrôle au faciès a publié son premier rapport mardi 1er mars. Le collectif livre un document inédit grâce à de multiples témoignages, révélateurs des «interactions problématiques» entre les forces de l’ordre et les citoyens. 

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Le contrôle au faciès, triste banalité
© Photo : AFP / SEBASTIEN BOZON - FRANCE, Mulhouse : Des policiers discutent lors d'une patrouille dans les rues de Mulhouse le 10 septembre 2011

C’est une première, et un travail de longue haleine. Les associations du collectif Stop le contrôle au faciès dénoncent l’ampleur des contrôles abusifs et des violences policières à l’encontre des personnes racisées, dans un rapport réunissant cinq ans de témoignages de victimes et de leurs familles. «Les Maux du Déni» rend compte d’une réalité éclipsée et dénonce une sorte de «renoncement au droit» de la part des victimes. Une résignation qui en dit long sur la banalisation de ces pratiques.

Le 25 février, Médiapart divulguait d’ailleurs l’existence «d’un mémoire transmis à la Cour, dans lequel il est jugé légitime de ne contrôler que les Noirs et les Arabes au motif qu’ils ont plus de chances d’être étrangers et donc sans papiers».

Rédigé afin de prévenir et d’alerter, ce rapport n’est en rien destiné à incriminer l’ensemble de la profession policière, ont par ailleurs précisé les membres du collectif. Au contraire, il prévoit une série de recommandations afin de lutter contre ces violences aux conséquences imprévisibles et traumatisantes pour les individus, mais plus globalement pour la société française.

Ces recommandations s’adressent non seulement au gouvernement et aux institutions, mais aussi aux journalistes, aux syndicats de la police, aux associations et aux citoyens. Selon Amal Bentounsi, porte-parole de Urgence notre police assassine, membre du collectif, «il s’agit par exemple d’inciter le gouvernement à mener des campagnes contre les contrôles abusifs en faisant connaître les droits des citoyens, les peines encourues mais aussi les recours afin d’encourager les victimes à témoigner». Les associations conseillent également un renforcement des pouvoirs du Défenseur des droits, la sensibilisation des magistrats «aux problématiques liées au recours abusif à l’accusation d’outrage et rébellion de la part d’agents des forces de l’ordre» ou encore «d’assurer plus de transparence dans le suivi des procédures dans les enquêtes concernant des violences ou une mort impliquant des agents des forces de l’ordre». Des prescriptions qui visent à lutter contre le «sentiment d’impunité» ressenti par les victimes et leurs familles, précise Amal Bentounsi. Pour elle, mais aussi pour le collectif, il est également nécessaire d’assurer «le respect des jours de repos des policiers» et de sanctionner les commissariats qui ne le font pas, notamment «parce que nous savons que les policiers qui travaillent trop peuvent avoir des excès de violences» sur le terrain :

Il ne s’agit pas travailler contre les institutions, mais de trouver des solutions pour que l’on arrive à faire avancer les choses, qu’il y ait une véritable prise de conscience, et que nous ne tombions pas dans les dérives d’un état policier ; ce qui est déjà presque le cas.

La militante fait allusion à la réforme de procédure pénale, en débat à l’Assemblée nationale le jour même de la publication de ce rapport, mardi 1er mars. Ce projet de réforme prévoit notamment de renforcer le régime d’irresponsabilité pénale des forces de l’ordre, ce qui inquiète le collectif : «si l’Etat protège les policiers… qui protège les citoyens ?»

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Des chiffres inquiétants, banalisés

Particulièrement saisissant, le prologue de cette expertise relate la violente expérience d’un contrôle vécu par l’un des membres du collectif. Dans ce récit, à l’inverse de nombreuses personnes s’estimant victimes d’une agression, le narrateur explique la nécessité de déposer plainte :

Il portera plainte […] parce qu’il sait qu’en France, l’État, même condamné pour contrôle au faciès, vit dans le déni. Un déni dangereux pour nous tous, qu’il appartient aux citoyens de briser pour qu’un jour, enfin, les responsables politiques ouvrent les yeux, et prennent leurs responsabilités pour réparer l’un des maux les plus sous-estimés de notre pays, qui rend vain tout effort de construction d’un avenir meilleur.

Si lui a décidé de recourir à la justice, 92,9% des personnes victimes de ce type d’abus ayant contacté les associations ne portent pas plainte, s’en tenant à témoigner auprès du pôle juridique du collectif. D’après Amal Bentounsi, très peu de personnes vont plus loin «tout simplement parce qu’elles n’y croient pas, et que selon elles, la justice donnera raison aux policiers. Mais il faut que ces policiers soit sanctionnés comme n’importe quel citoyen». En 2015, « il y a également eu une baisse de 50% des signalements, continue la militante. Les raisons sont simples. Depuis les attentats et la promulgation de l’état d’urgence, les contrôles se sont multipliés et sont assumés…»

Souvent jeunes, ces personnes restent longtemps marquées par ces abus. D’après le rapport, 75% des victimes ont entre 15 et 25 ans et vivent à 65% en Île-de-France. Cela-dit, il ne s’agit que des témoignages rapportés au collectif. Il s’agit donc d’un chiffre à relativiser, que le rapport explique par le fait que «le noyau dur des associations du collectif» se trouvent dans cette région.

Parmi ces témoignages, il y a celui d’Issa, jeune parisien de 14 ans :

C’était après l’école avec Alex, il est capverdien, on est parti aux Halles et on s’est fait contrôler déjà sur les marches d’escalier dans le Forum ; il y avait trois agents, on avait nos papiers alors c’était rapide; ensuite on s’est refait contrôler près du métro et encore après dans le métro et là on a dit qu’on en avait marre et ils nous ont ramené au poste et ils voulaient appeler nos parents on a dit non alors on a eu une amende pour « refus d’obtempérer aux injonctions d’un agent de chemin de fer » mais c’était la police, pas des agents de chemin de fer… Alex il s’est fait étrangler un peu au commissariat. Je suis grand pour mon âge, je me fais trop souvent contrôler, je voulais juste savoir, pourquoi on est contrôlés ? Et… ça va s’arrêter quand ?

Parmi les abus signalés dans les saisines, le contrôle au faciès est le plus courant (dans 47% des cas). Mais il y a aussi les violences physiques (23% ), les fouilles et palpations (17.9%), les insultes et propos racistes (dans respectivement 16.9% et 12.8% des cas), les intimidations en tout genre – amendes abusives, menaces, racket ou autres – (23%), et les palpations génitales, rapportées dans près de 10% des témoignages. «C’est une réalité qu’il faut mettre en avant, s’insurge Amal Bentounsi. La plupart d’entre-eux ne sont que des jeunes majeurs, et vivent ces violences comme de véritables traumatismes. En France, on parle beaucoup des violences policières et du racisme en dehors de nos frontières, mais elles sont aussi présentes chez nos forces de l’ordre.»

Malgré ces signalements aux associations, et une réalité déjà dénoncée par différentes organisations, les recours sont «quasi inexistants» selon le collectif. Dans les pages de ce document, de nombreux témoignages attestent du refus des policiers de prendre en considération les dépôts de plaintes. D’autres dénoncent l’écriture de faux procès-verbaux, permettant la possibilité de «faire passer une violence excessive pour une violence proportionnée au regard de l’attitude de la victime». Marwan, dans le secteur du nucléaire à Mulhouse raconte :

Ils nous ont mis comme motif d’arrestation « résistance avec violence à un fonctionnaire de police » mais j’ai pas résisté, ils m’ont pas contrôlé, ils m’ont juste frappé. Puis, ils m’ont mis « 0,03 grammes de cannabis sur la veste », même le juge a rigolé. J’ai 4 points de suture, j’ai eu des jours d’ITT. Un policier m’a dit « mauvais moment et mauvais endroit ».

Et puis, il y a aussi les dommages collatéraux… Dans ce contexte post-attentats, les associations se disent particulièrement préoccupées par certains témoignages de mères de victimes, «dont les enfants disent ne plus croire en la justice en France et envisager de se tourner vers la Syrie». Susciter un réveil citoyen autour de cette problématique, plutôt que de la banaliser, apparaît donc d’autant plus nécessaire aujourd’hui, selon ces associations.

Il est commun d’accepter l’idée que les enfants victimes de viols ou de violences peuvent à leur tour devenir des agresseurs. Que penser alors du développement des enfants qui ont vu leurs proches tués par des représentants de la République, sans que ces derniers ne soient condamnés? Ces mêmes enfants qui grandissent avec les contrôles abusifs, les petites vexations, violences, remarques racistes et islamophobes, et qui, au mieux, s’entendent rétorquer que «la police est Républicaine» lorsqu’ils tentent de dénoncer ces faits?

Et c’est d’ailleurs en ce sens que va la conviction profonde d’Amal Bentounsi: «le déni de justice crée des monstres.»

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