Ce que nous dit la place de la République

Les Nuits debout nous parlent de la crise de la démocratie, du divorce entre la société et la représentation politique, et d’un sentiment d’impasse institutionnelle.

Denis Sieffert  • 13 avril 2016
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Ce que nous dit la place de la République
© Rodrigo Avellaneda / Anadolu Agency/AFP

C’est un bel espace de liberté. Une petite agora qui, avec un peu d’imagination, nous renvoie aux origines de la démocratie. Des politiques qui seraient à la fois humbles et inspirés – ce qui fait beaucoup – pourraient y venir puiser des idées qui ne sont pas toutes déraisonnables. Ou, à tout le moins, entendre une parole inhabituelle, qui n’est ni celle de leurs conseillers ni celle des grands médias. Les Nuits debout, qui s’étendent un peu partout dans nos villes, sont un salutaire exercice de démocratie… jusqu’à une certaine heure de la soirée. Cela étant dit, nul ne sait ce que deviendront ces Indignés à la française. Dans l’immédiat, on peut espérer qu’ils n’auront pas le destin des révoltés de la place Tahir, spoliés de leur révolution, ou d’Istanbul, durement réprimés par le régime. Même si la matraque démange quelques « fonctionnaires de police », et si l’option répressive tente certains élus locaux.

Pour l’instant, le pouvoir semble partagé. Apeuré par un mouvement qu’il ne peut pas comprendre, il aimerait s’en débarrasser au plus vite. Mais, instruit par l’histoire, il sait aussi qu’un malheureux incident peut mettre le feu aux poudres. D’où une stratégie du pourrissement. Encore faut-il que ça « pourrisse », ce qui n’est pas le cas. Alors quel avenir pour ces soirées politico-festives ? Au mieux, elles peuvent finir par imiter l’exemple espagnol. On sait que Podemos est né des campements de la Puerta del Sol. Non sans transformations, et non sans concessions au système politique.

En attendant, prenons le mouvement pour ce qu’il est : minoritaire, socialement sélectif, et assez lucide sur lui-même pour ne pas se poser prématurément la question du « débouché politique ». Mais tel qu’il est, il délivre déjà un message que tout le monde aurait intérêt à méditer, et qui rejoint évidemment celui des zadistes de Notre-Dame-des-Landes, ou d’ailleurs. Il nous parle de la crise de la démocratie. Du divorce profond entre la société et une certaine représentation politique. Et d’un sentiment d’impasse institutionnelle. Comme l’illustre cette loi travail qui est à l’origine des Nuits debout, et des manifestations syndicales. Car il y a, politiquement, plus grave que la loi elle-même. On aurait trouvé naturel qu’elle soit l’œuvre d’un Sarkozy. On aurait guetté la prochaine échéance électorale et espéré la victoire d’une gauche pleine de promesses. Mais nous n’en sommes plus là aujourd’hui.

Ce sont MM. Hollande et Valls qui ont lancé la pire des offensives contre notre droit du travail, suscitant l’enthousiasme du patronat et d’une grande partie de la droite (jusqu’à ce que – ironie de l’histoire – les premiers reculs face à la mobilisation ne provoquent la colère de Pierre Gattaz). Les issues démocratiques sont donc verrouillées. Au moins tant qu’une autre gauche est empêtrée dans ses contradictions. C’est donc la société civile qui prend la parole, sinon le pouvoir. Place de la République et partout où le ras-le-bol social s’est manifesté au cours des derniers mois. Mais la place de la République nous délivre deux autres messages. Celui de la convergence potentielle de ces mouvements, et celui d’une critique de plus en plus systémique qui s’impose.

Car voilà que surgit, là-dessus, le nouveau scandale de Panama. Il n’étonne pas tous ceux qui suivent de près ou de loin l’actualité économique et qui ne croyaient guère à la fable de la fin des paradis fiscaux. Mais il vient confirmer l’ampleur des déséquilibres du monde. L’accaparement des richesses par une minorité qui n’en a jamais assez, et qui vole la société sans vergogne. De quoi en effet donner des envies de révolution… Mais ce détour par l’Amérique centrale ne nous empêche pas de revenir très vite à notre vie politique hexagonale. Car dans cette gigantesque affaire d’évasion fiscale, le gouvernement a également failli. C’est au niveau européen que la bataille aurait pu être menée. Pour la transparence d’abord. Contre la très inquiétante directive qui protège le « secret des affaires » au nom de la concurrence et de la compétitivité. Et pour une vraie protection des lanceurs d’alerte.

Notons au passage que c’est encore un lanceur d’alerte qui a révélé l’affaire des Panama papers – toujours la société civile, jamais les pouvoirs institutionnels ! Du point de vue des symboles, la France aurait pu accueillir Edward Snowden.

Mais, surtout, c’est au niveau de la concurrence fiscale de l’imposition des profits que l’on aurait pu attendre un gouvernement de gauche. En a-t-il seulement été question dans les discours ? Pas même. Comme le note fort justement Thomas Piketty, si la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne proposaient un impôt commun sur les grandes sociétés, il serait mis un terme à une concurrence féroce au sein même de l’Union européenne [^1]. Car il n’y a pas que Panama ! Mais on ne peut pas à la fois concocter la pire des lois antisociales avec M. Gattaz et lutter contre l’évasion fiscale en Europe. Eh bien, voyez-vous, de ces sujets aussi il est question place de la République…

[^1] Tribune dans Le Monde des 10 et 11 avril.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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