Un pouvoir citoyen ?

Avant Nuit debout, plusieurs mouvements ont émergé pour tenter d’élaborer une nouvelle forme de démocratie « par le bas ». Mais les avis divergent sur leur avenir politique.

Lena Bjurström  • 20 avril 2016 abonné·es
Un pouvoir citoyen ?
© PHILIPPE DESMAZES/AFP

«Nuit debout démontre à quel point le sentiment d’un dysfonctionnement de notre système démocratique est partagé », affirme Philippe Saugier. Pour ce militant de la démocratie citoyenne, initiateur de Nous la majorité, le mouvement parti de la place de la République clame ce qui bruissait déjà dans la société : un constat d’échec des institutions classiques, déjà à l’origine de la création de multiples initiatives citoyennes.

Nous la majorité, la Vague citoyenne, Conférence citoyenne 2017, Curieuses démocraties… Tous ces mouvements ont vu le jour ces trois dernières années. Certains tentent d’organiser des listes citoyennes aux élections, d’autres de repenser les institutions, mais tous ont le même objectif : remettre les citoyens au cœur des décisions politiques.

« L’idée ne date pas d’hier, note Benjamin Ball, initiateur de la Primaire.org, qui ambitionne de proposer un candidat citoyen à la présidentielle de 2017, mais la déception vis-à-vis de la “gauche” au pouvoir a accéléré le processus. Quelque chose a changé quand les gens ont compris que l’alternance politicienne n’était pas synonyme d’alternative politique. »

Réunis dans le village de Saillans, dirigé selon des méthodes de démocratie participative depuis l’élection d’une liste citoyenne aux municipales, puis à Vogüe, en Ardèche, certains mouvements cherchent à mutualiser leurs efforts. « On a le sentiment qu’en unissant nos efforts on pourrait faire émerger une vraie force alternative », explique Philippe Saugier. Un mouvement plus global ayant pour objectif de multiplier les candidats citoyens, non–professionnels de la politique, aux prochaines élections présidentielle et législatives.

« Au sein du Processus de Vogüe, qui rassemble toutes ces initiatives, tout le monde n’est pas dans une démarche électorale. Certains privilégient le principe du contre-pouvoir, précise Antoine Bevort, membre de la Conférence citoyenne 2017, mais il a été acté que différentes initiatives pouvaient coexister. » « Certains prônent un changement “par le bas” au sein de la société. Pour moi, les deux ne sont pas incompatibles, renchérit Benjamin Ball. On peut transformer les choses à petite échelle, dans nos pratiques et nos vies quotidiennes. Mais il y a certains changements qui ne peuvent être portés qu’à grande échelle. Je pense qu’il est nécessaire de “pirater” les institutions telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui pour pouvoir les refonder. Pour cela, la démarche électorale est nécessaire, car je ne crois pas que le pouvoir acceptera de se refonder de lui-même. »

Au sein du processus, cohabitent -plusieurs groupes de travail, œuvrant à la multi-plication d’assemblées locales, à la mise en réseau des initiatives et à l’échange des savoir-faire ou à l’élaboration d’un « label citoyen » identifiant les listes et candidats citoyens dans les élections à venir. « La démarche de labellisation repose sur la définition d’un code démocratique commun, déterminant nos valeurs et notre mode de fonctionnement », explique Antoine Bevort. Pas d’étiquette politique : ces mouvements veulent se différencier des partis et être assez ouverts pour rassembler.

Venue en observatrice à Vogüe, Sophie Wahnich, initiatrice avec d’autres des Conseils d’urgence citoyenne, créés en réaction à l’état d’urgence, porte un regard critique sur la démarche électorale du Processus de Vogüe : « L’idée d’un label simplement citoyen est à mon sens dangereuse, car elle peut agréger tout et n’importe quoi. » Qui dit citoyen ne dit pas forcément progressiste, avertit-elle. « Sans fondement politique clair, cette idée d’alternative citoyenne risque non seulement de n’être qu’une coquille creuse, mais surtout de se transformer en populisme électoral. On ne peut pas refonder le système démocratique sans porter des idées politiques définies. Vouloir ratisser large à des fins électorales est risqué. »

« L’objectif de la création d’un code démocratique commun vise justement à éviter toute dérive », tempère Philippe Saugier. À Vogüe, le mouvement Mobilisation générale, proche de l’extrême droite de Soral et Dieudonné, a tenté de s’infiltrer avant d’être rapidement expulsé. « Certaines initiatives similaires au Processus de Vogüe, comme Synergie démocratique, ont choisi de dialoguer avec ces mouvements, raconte le militant. Ce n’est absolument pas notre cas. » « Les mouvements citoyens, ouverts par nature, doivent faire de la lutte contre les idées d’extrême droite un axe prioritaire, non pas leur offrir une tribune », ajoute Antoine Bevort. D’où l’idée d’une charte de valeurs. « Il s’agit de définir des marqueurs communs, explique Benjamin Ball. Comme l’écologie, l’antifascisme, la remise en question du productivisme et des pouvoirs financiers… Tout cela est encore en élaboration. »

Et les discussions sont complexes. Car, si certains consensus se dégagent, comme le refus de tout sectarisme ou la nécessaire refondation des institutions démocratiques par une nouvelle Constitution, le débat fait rage entre ceux qui souhaitent l’ouverture la plus large possible et ceux qui prônent une orientation politique plus affirmée à gauche.

Politique
Publié dans le dossier
Réinventer la démocratie
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