Le sous-ministre chante faux

Le secrétaire d’État aux Anciens combattants a fait interdire une chanson à une cérémonie célébrant le centenaire de la Première Guerre mondiale.

Christophe Kantcheff  • 6 juillet 2016 abonné·es
Le sous-ministre chante faux
© Photo : Andrew Matthews/Pool/Getty/AFP

« Devoir de mémoire ». Si l’expression est moins en vogue qu’elle ne l’a été, les cérémonies actuelles célébrant le centenaire de la Première Guerre mondiale montrent qu’en haut lieu on ne tient pas le souvenir à la légère. Le 1er juillet, sous la pluie, accompagné de la famille royale britannique et de David Cameron, François Hollande a participé aux commémorations de cette énorme boucherie que fut la bataille de la Somme – plus d’un million de morts, disparus et blessés.

Aucun des belligérants n’étant oublié, une célébration s’est déroulée au cimetière militaire allemand de Fricourt. Une cérémonie durant laquelle la chorale de Poulainville devait entonner deux complaintes : « Roses of Picardy », air emblématique des Britanniques pour cette bataille. Et « La Chanson de Craonne », populaire auprès des soldats français qui se sont mutinés. Extraits : « Adieu la vie, adieu l’amour/Adieu toutes les femmes/C’est bien fini, c’est pour toujours/De cette guerre infâme/C’est à Craonne, sur le plateau/Qu’on doit laisser sa peau/Car nous sommes tous condamnés/C’est nous les sacrifiés ! […] Ceux qu’ont l’pognon/Ceux-là r’viendront/Car c’est pour eux qu’on crève/Mais c’est fini, car les troufions/Vont tous se mettre en grève/Ce s’ra votre tour, messieurs les gros/De monter sur l’plateau/Car si vous voulez la guerre/Payez-la de votre peau ! » Beau texte.

C’était sans compter les émois du secrétaire d’État aux Anciens combattants, un certain Jean-Marc Todeschini. Celui-ci a fait interdire l’exécution de la chanson, au crédible prétexte d’un manque de temps – le tout ne devant prendre que quelques minutes, selon le chef de la chorale… Avec cette décision, M. Todeschini marche sur les pas cadencés du haut commandement militaire de 1917, qui à l’époque avait censuré la subversive ritournelle. Contrairement aux balles de l’ennemi, le ridicule ne tue pas : le sous-ministre l’a échappé belle…

Voilà donc le gouvernement français tremblant dans ses guêtres devant une chanson. C’est bien la peine d’avoir un Premier ministre qui se croit en guerre et ne manque pas une occasion de montrer ses muscles de cinéma. Célébrons donc les grandes tragédies de l’histoire. Mais en respectant, s’il vous plaît, le devoir de mémoire sélective…

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