En compagnie des sombrelines

Pour démarrer la bande dessinée dans un univers un peu à part : Hôtel étrange, de Katherine et Florian Ferrier, et son cortège de créatures magiques nichées dans la forêt.

Ingrid Merckx  • 5 janvier 2017 abonné·es
En compagnie des sombrelines
© Ketherine Ferrier/sarbacane

C’est un hôtel hors du temps. Et hors du monde. Enfin, hors de tout monde connu. En hiver, il hiberne avec ses occupants, quand ceux-ci ne sont pas dérangés par des clients intempestifs. Il rouvre au printemps, quand le printemps daigne arriver. Monsieur Léclair, son gardien, est une vieille souris qui s’intéresse plus à ses livres qu’aux gens. Le majordome est un fantôme, un vrai : monsieur Snarf, qui a la tête vert chewing-gum, avec deux grandes oreilles, et flotte dans un costume noir au col et aux manchettes couleur farine. Il dort dans le registre et en sort quand on l’ouvre. Correction : il est le registre, précise-t-il, alors qu’il n’a pas de bouche. Marietta a une bonne bouille toute ronde, les cheveux courts et une barrette assortie à un tricot rouge. On lui donnerait 10 ans, mais c’est elle qui s’occupe des lieux, généreuse et dégourdie, entourée de petits nuages de poussière avec des yeux et une queue. Elle est aidée de Kaki, hybride entre Pokémon et spectre violacé, maladroit, râleur, cossard et marrant.

Et puis il y a Célestin, qui vit dans une cabane un peu plus loin, qui serait si mignon s’il voulait retirer de temps à autre le champignon percé de branches qui lui sert de couvre-chef. Et il fume la pipe… Célestin comprend la nature environnante, un paysage un peu vosgien, traversé de magie, de légendes et de créatures. Il sait que le Smog est un être de brume épris de liberté, que les sombrelines ont besoin de lumière sur les pierres de la rivière pour traverser sans encombres, que les Maugures annoncent de mauvaises nouvelles.

À l’hôtel, on ne s’étonne pas des drôles de têtes ni des événements bizarres. Ou plutôt on s’en débrouille, même si des branchages se mettent à pousser entre les cases de cette bande dessinée, si la neige glace parfois les lignes, si le vent souffle à en iriser la surface des dessins, et si on dort des mois durant sans parents ni école, ni d’autre contrainte que de chercher du bois, ramasser des mûres, chasser des kroksiures… Il est question de responsabilité (vis-à-vis des autres), d’hospitalité (hôtel oblige), d’instinct de propriété, d’envie du pouvoir, mais la leçon du jour est émiettée dans une combinaison d’aventures et d’anecdotes, de couleurs et d’humeurs, de naïveté et d’humour et, surtout, de recettes de pâtisseries dont le détail figure à chaque dernière page : cocolélé, visitandines, konfitroux…

C’est un peu le biscuit magique d’Alice associé à chacun de ces albums dont le maître mot est peut-être moins l’étrange que la fantaisie. Katherine Ferrier est diplômée de l’École européenne supérieure de l’image et styliste pour une enseigne bariolée pour enfants. Florian Ferrier est scénariste, directeur artistique et réalisateur de dessins animés depuis vingt ans. Ils ont conçu leur étrange hôtel sous forme de série : six titres sont parus depuis six ans, dont le dernier, Le Noël des sombrelines.

De quoi illustrer la vivacité de la BD jeunesse : Hôtel étrange a été pensé pour les 7-8 ans, rythme de lecture et vocabulaire adaptés pour une lecture autonome. L’accent est mis tant sur les dessins que sur le texte, qui dit son goût de raconter des histoires et de titiller l’imaginaire. La tonalité fantastique offre des passerelles opportunes avec la manifestation des peurs et la bande dessinée pour les plus grands. Le plus marquant étant peut-être cette manière d’insérer de l’étrange dans le quotidien. Même si ce quotidien reste un peu hors du commun.

Hôtel étrange. Le Noël des ­sombrelines, Katherine & Florian Ferrier, Sarbacane, 48 p., 12,50 euros.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes