Les murs du silence

La romancière israélienne Daniella Carmi signe une fable douce-amère sur les incompréhensions croisées qui minent son pays.

Laura Alcalaï  • 5 juillet 2017 abonné·es
Les murs du silence
© photo : Annick Prime-Margules

La famille Yassine du titre, c’est un couple d’Arabes israéliens qui vit dans un village proche de Jérusalem. Vit ou plutôt tente de vivre au milieu des tracasseries administratives, des difficultés financières et du poids des traditions familiales et religieuses. Le couple est stérile et attend depuis trop longtemps déjà un bébé à adopter. Finalement, c’est un petit garçon qui leur est confié. Un jeune autiste qui vit dans son monde, rythmé par les chansons des Beatles, en particulier la fameuse « Lucy in The Sky with Diamonds ».

« On me sort un petit garçon de nulle part, et avant même qu’ils me laissent lui jeter un rapide coup d’œil, nous nous retrouvons, lui et moi et la valise, dans l’autobus. Pendant tout le trajet, son silence m’écrase le cœur, comme si une pierre était posée dessus. »

Ce roman rassemble, dans un kaléidoscope vu par Nadia (madame Yassine), un mélange de naïveté, de soumission, de tendresse et de révolte. Des parents biologiques de l’enfant, on ne saura rien. Si ce n’est que tout les sépare : la langue (l’un parle hébreu et l’autre anglais), la croyance (un père ultrareligieux orthodoxe et une mère laïque), le pays (l’un vit en Israël, l’autre en Angleterre). Seul point d’accord : celui d’assouvir leur haine réciproque, même aux dépens de leur enfant.

D’autres silhouettes traversent le récit, poignantes dans leur humanité fragile et aveugle, comme ce couple de Russes récemment émigrés et déboussolés. On y trouve ceux qui ont une terre et ceux qui n’en ont pas, ceux qui ont des souvenirs et ceux qui les ont perdus, ceux qui ont une langue et ceux qui ne savent pas parler, ceux qui agissent et ceux qui s’évadent dans le rêve. Tout ce petit monde se croise sans vraiment se rencontrer, et chacun, à l’image de l’enfant autiste, est renvoyé à son propre langage, à sa solitude, à sa folie.

En Israël, Daniella Carmi a déjà publié de nombreux romans et des pièces de théâtre, dont Samir et Jonathan, roman jeunesse traduit en dix-huit langues. Elle est aussi connue pour son engagement en faveur des droits de la minorité arabe israélienne et pour son opposition à la colonisation. Elle signe ici une fable douce-amère, pleine de poésie et d’humour, mais aussi de mélancolie, où les murs de pierre ne sont que la métaphore des murs de silence et d’incompréhension qui minent son pays. Des murs que traversera peut-être « Lucy dans le ciel avec des diamants ».

La famille Yassine et Lucy dans les cieux, Daniella Carmi, traduit par Jean-Luc Allouche, Éd. de l’Antilope, 190 p., 17 euros.

Littérature
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