Bilal : « Chanteur de jazz »

Artiste au parcours atypique, Bilal est à Paris, au Duc des Lombards, pour six représentations.

Pauline Guedj  • 21 février 2018 abonné·es
Bilal : « Chanteur de jazz »
© Leemage/AFP

Nous sommes dans le Val-d’Oise, à Sannois, le 18 mai 2008. Ce soir, l’Espace Michel-Berger (EMB) accueille Bilal, un chanteur catalogué « neo soul », le benjamin de la génération des Erykah Badu, D’Angelo ou autres Jill Scott. La salle est confidentielle, quelques centaines de personnes tout au plus. Bien loin de l’Élysée Montmartre, qui, quelques années plus tôt, en 2002, affichait complet lorsque Bilal s’y produisait. À l’EMB, ce soir-là, il présente son deuxième album, l’album maudit, Love for Sale, celui qui après des années de peaufinage a fuité sur Internet et dont la sortie, en 2006, avait finalement été abandonnée. Le chanteur est impressionnant. Il bouffe la scène comme s’il se produisait dans le plus grand des stades. Il y a cette voix, qui maîtrise des registres éloignés, capable des improvisations les plus folles, livre des interprétations troublantes à coups de vibrato haut perché, servie par un accompagnement impeccable. Aux claviers, Robert Glasper ancre les allées et venues du chanteur entre soul, hip-hop et jazz. À la batterie, Chris Dave plaque son groove efficace et ludique.

Chanteur de jazz, c’est comme ça que Bilal se définit. Et si son premier album, l’excellent 1st Born Second, incluait des productions de J Dilla ou Dr. Dre, c’est rapidement que le chanteur fuit les projecteurs pour privilégier le travail collaboratif avec des musiciens de son proche entourage. Dès la première tournée aux États-Unis, Bilal boude les grandes salles pour des petits clubs et bientôt propose des résidences à l’intime Jazz Gallery de New York, là où il travaille ses compositions et joue des standards. Bilal est originaire de Philadelphie, une ville à part dans l’histoire des musiques afro-américaines, et pas seulement parce qu’elle serait l’antichambre du mastodonte new-yorkais. Enfant, il va à l’église avec sa mère, où il apprend à chanter, et fréquente les clubs de jazz avec son père. Philadelphie : la ville de cœur de Lee Morgan, McCoy Tyner, Archie Shepp, John Coltrane… ville natale de The Roots, fer de lance du hip-hop, dans sa mouture instrumentale et là encore jazzy.

De cette tradition, Bilal conserve une attitude d’accompagnateur qu’il ne néglige jamais. S’il se lance dans des projets solos, quelques disques plus ou moins aboutis (le touffu Airtight’s Revenge, en 2010 ; le très beau A Love Surreal, en 2013 ; et l’ambitieux In Another Life, en 2015), il s’implique dans les aventures les plus novatrices du moment. Avec Robert Glasper toujours, avec la bande du label Brainfeeder, à Los Angeles, et surtout avec le rappeur Kendrick Lamar. Sur To Pimp a Butterfly, l’immense disque de ce dernier, c’est bien Bilal qui assure les parties chantées les plus inspirées, les plus groovies, et les plus sombres aussi. À Paris, Bilal sera au Duc des Lombards, pour six concerts sur trois jours. Configuration idéale pour celui qui aime déconstruire, réarranger et laisser tourner ses classiques. Un concert de Bilal est parfois inégal, mais toujours intéressant. Surprenante, l’expérience mérite le détour.

Bilal, au Duc des Lombards, du 24 au 26 février, à 19 h 30 et 21 h 30, 42, rue des Lombards, Paris Ier, www.ducdeslombards.com

Musique
Temps de lecture : 3 minutes