En rétention, on souffre toujours et on meurt parfois…

En centre de rétention administrative, tout est réuni pour fabriquer de la souffrance. Odile Ghermani, membre de l’Observatoire citoyen du CRA de Vincennes, en témoigne dans ce texte.

Odile Ghermani  • 16 avril 2018
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En rétention, on souffre toujours et on meurt parfois…
© photo : BERTRAND LANGLOIS / AFP

Toutes les personnes que nous avons rencontrées au centre de rétention administrative (CRA) – plusieurs centaines – souffrent très profondément de cet enfermement. Quelques rares rencontres avec des gaillards joviaux et décontractés ou avec des SDF soulagés d’être à l’abri pendant l’hiver ne peuvent cacher l’immense détresse des personnes enfermées.

Odile Ghermani est membre de la Ligue des droits de l’homme et de l’Observatoire citoyen du CRA de Vincennes

Car tout est réuni pour fabriquer de la souffrance. L’enfermement est injuste, les retenus n’ont commis aucun délit, la preuve, ils sont au CRA et non en prison. Le rapprochement de ces deux notions – enfermement et injustice – ne peut que générer des douleurs, tant morales que physiques.

En effet, la liberté d’aller et de venir est une liberté fondamentale, fondatrice même de l’idée d’humanité : nous sommes tous des êtres « aux semelles de vent ». En Afrique du Sud, l’obligation du pass pour les Noirs était ressentie comme une des mesures les plus humiliantes créées par l’abject régime de l’apartheid.

C’est pour ces mêmes raisons que la prison est considérée comme la punition par excellence : « Ta faute est grave, on te prive de cette liberté essentielle, celle d’aller et de venir. » Dans les CRA, cette privation n’est fondée sur aucune faute, c’est une simple mesure administrative, totalement disproportionnée avec le but recherché : expulser les étrangers.

À cette souffrance fondamentale s’ajoutent les conditions de vie, qui ne sont qu’un triste néant. Au CRA, il n’y a rien et on ne fait rien. Un poste de télé, une table de ping-pong sans filet (très dangereux le filet, on l’a retiré !), deux consoles de jeux en panne : c’est tout.

Et au centre de ce vide, l’épée de Damoclès, le vol, trop souvent non annoncé et exécuté par surprise. Au petit matin, les policiers vous embarquent, juste le temps de ramasser vos affaires, pas moyen de prévenir les copains. Vous partez, la peur au ventre : « Est-ce que je vais avoir le courage, la force de refuser ce vol ? Est-ce que les policiers, devant ma résistance, ne vont pas me contraindre, au prix de nouvelles souffrances : entraves aux mains et aux pieds, bâillon sur la bouche, maintien en position pliée, qui empêche de respirer ? »

Face à ce vide et à cette angoisse, la tentation est grande de jouer le tout pour le tout : se mettre en danger, en grave danger, pour échapper à l’enfermement et à l’expulsion. L’inventivité du désespoir est féconde et la liste des automutilations d’une consternante longueur : on avale tout, du briquet à la lame de rasoir, on se mutile avec tout, on se shoote aux médicaments.

Parfois, au CRA, on meurt aussi. C’est difficile de le savoir, les autorités sont discrètes et les CRA opaques, bien éloignés du regard citoyen. Pourtant, en dix ans, nous pouvons attester de trois décès.

En 2008, un retenu tunisien meurt au CRA (d’une crise cardiaque ?), provoquant une violente réaction des autres retenus, qui incendient les CRA 2 et 3. Des manifestations de soutien se tiennent à l’extérieur, violemment réprimées par la police.

En 2014, un retenu algérien, qui s’opposait de toutes ses forces à son départ, est mort durant son transfert à l’aéroport. Maintenu en position pliée, il a été asphyxié par ses régurgitations, autrement dit, il a été étouffé par son vomi. La famille s’est constituée partie civile, aucune nouvelle de l’enquête à ce jour.

En 2018, une femme retenue au CRA de Paris se jette du haut d’un mur et s’écrase dans la cour. Les rares témoins parlent avec horreur des flaques de sang sur les pavés. La victime, si elle n’est pas morte, est maintenue en coma artificiel à cause de la gravité de ses blessures. La préfecture l’a généreusement libérée et nous sommes sans nouvelles, ne sachant même pas dans quel hôpital elle se trouve.

Telles sont les souffrances infligées à des hommes et à des femmes qui cherchaient simplement dans notre pays un avenir meilleur. Au bout de leur parcours, dans ce cul-de-sac que constitue le CRA, ils souffrent et, parfois, ils meurent.

Publié dans
Tribunes

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