Une terreur noire

Le nouveau film de Roberto Minervini dresse un portrait délicat des communautés africaines-américaines à La Nouvelle-Orléans.

Pauline Guedj  • 4 décembre 2018 abonné·es
Une terreur noire
© photo : Shellac-films

En 2015, paraissait Une colère noire de Ta-Nehisi Coates, autobiographie d’un journaliste africain-américain et réflexion sur le poids du racisme sur son existence. Au cœur du livre, qui connut un succès immense et fut auréolé du National Book Awards, se trouvait une idée phare : traiter du racisme aux États-Unis ne peut se faire sans une réflexion sur la peur, la terreur même, qu’il crée dans la communauté noire. Délaissant quelque peu l’analyse politique, Coates montrait comment vivre le racisme revient à exister dans une crainte constante : crainte physique d’être agressé, violenté ou tué.

Ce thème central affleure dans plusieurs scènes du nouveau documentaire de Roberto Minervini, What You Gonna Do When The World’s On Fire. Ce film est une nouvelle étape dans le parcours du réalisateur italien, qui explore la face cachée de l’Amérique, au sein de différentes communautés du sud du pays. Minervini dresse le portrait des laissés-pour-compte, Blancs déshérités, toxicomanes, habitants des ghettos. Ici, c’est à La Nouvelle-Orléans qu’il s’installe, optant pour un dispositif alliant plusieurs fils narratifs, tous centrés autour d’une série de personnages. Les séquences sont longues, saisies à la fois dans la fluidité de leur mouvement et dans la rythmique des paroles qui y sont échangées. Elles laissent se déployer des personnalités, qui se lient, échangent et le plus souvent veillent les unes sur les autres.

Il y a d’abord Judy, une quadragénaire tenancière d’un bar où se rencontrent plusieurs hommes du quartier, victime d’inceste, ancienne toxicomane, battante. Vient ensuite un groupe de militants, le New Black Panther Party, suivi dans plusieurs opérations face à la police du Mississippi ou, dans une séquence exceptionnelle, montré dans une petite ville terrorisée par les crimes du Ku Klux Klan. Enfin, la caméra de Minervini filme deux enfants, Titus et Ronaldo, les plus touchants, que l’on accompagne dans leurs jeux et leurs déambulations dans le quartier.

Parfois, le film flirte dangereusement avec les clichés. À ce titre, les cinq premières minutes peuvent affoler. Mêler des images en noir et blanc montrant une scène de carnaval, des militants rappelant un imaginaire stylisé du Black Power et des enfants jouant au basket, il fallait oser. Mais, lorsque la caméra de Minervini quitte ces premières vignettes et prend le temps de détailler les visages, elle parvient à révéler une réalité bien au-delà des images d’Épinal.

Vient une nouvelle scène. Titus et Ronaldo sont face à leur mère. Celle-ci dresse la liste de tous ceux qui sont morts récemment sous les balles du quartier. Successivement, les enfants l’écoutent, la craignent, s’amusent, sont distants. Superbe, la scène touche au vécu d’une communauté qui, au quotidien, fait l’expérience de la violence, la digère et s’adapte. Dans ces moments-là, Roberto Minervini montre avec délicatesse les sentiments contradictoires qui traversent la vie du quartier, entre rancœur, résignation et résistance.

What You Gonna Do When The World’s On Fire, Roberto Minervini, 2 h 03.

À lire : Une colère noire : Lettre à mon fils, Ta-Nehisi Coates, Autrement, 6 euros.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes