Émilie Chalas, députée LREM : « Favoriser les allers-retours avec le privé »

La majorité revendique une plus grande souplesse d’embauche et renvoie le malaise des agents à des causes « managériales ».

Erwan Manac'h  • 27 mars 2019 abonné·es
Émilie Chalas, députée LREM : « Favoriser les allers-retours avec le privé »
© crédit photo : J.-L. Hauser/CC-BY-SA-4.0

Dans une volonté manifeste de faire baisser la pression, Émilie Chalas, rapporteuse du projet de loi de transformation de la fonction publique, souhaite déconnecter cette loi des grands projets de la Macronie pour faire maigrir l’État.

Les mobilisations de fonctionnaires émaillent le territoire et les syndicats d’agents sont très critiques envers votre réforme. Que répondez-vous à ce malaise ?

Émilie Chalas : Il y a beaucoup de fausses informations sur le fondement du texte. Non, il ne s’agit pas de déconstruire le service public. Non, il n’est pas question de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires. Non, le statut n’est pas attaqué. J’encourage donc les fonctionnaires à lire le texte et à observer sa portée – je ne parle évidemment pas des syndicats qui travaillent dessus depuis un an et le maîtrisent parfaitement.

Ensuite, je ne crois absolument pas au risque de « tsunami des contractuels ». C’est l’articulation entre contractuels et fonctionnaires qui sera intéressante. Un recrutement par contrat permettra beaucoup plus de liberté lors de l’embauche. Mais, dans la durée, il n’a pas la souplesse du statut de fonctionnaire. Si l’on s’est trompé dans le recrutement, par exemple, ou qu’on souhaite réorganiser un service, le statut est en réalité un objet facile à gérer et intéressant pour les employeurs publics.

L’objectif du texte est de favoriser les allers-retours entre la fonction publique et la sphère privée. Nous ouvrons effectivement davantage la fonction publique aux contractuels, mais la loi permet aussi aux fonctionnaires d’aller dans le privé sans que leur avancement de carrière ne s’arrête. L’enrichissement est mutuel : la compétence, le sens de l’intérêt général et la déontologie des fonctionnaires seront portés dans le privé.

Nous allons aussi rendre beaucoup plus facile la mobilité entre les trois versants de la fonction publique, avec des formations et un accompagnement financier, pour permettre aux agents d’avoir deux, trois, peut-être quatre métiers différents dans leur vie. Il y a aujourd’hui des réflexes d’immobilisme et de peur du mouvement, autant que des carcans administratifs qu’il faut absolument lever.

Les agents ressentent une perte de sens de leur mission, comme conséquence des mesures d’économies successives. Comment y répondre ?

Ce sont deux sujets qui se mélangent. D’une part, il faut que le service public soit plus efficace et coûte moins cher aux Français, puisque la France dépense plus d’argent qu’elle n’en a. Il faut donc rationaliser le service public. Mais ce n’est pas parce qu’on cherche à avoir des services publics moins dévoreurs d’argent et plus efficaces qu’on en perd le sens de l’intérêt général. Nous percevons effectivement que les fonctionnaires sont désorientés. C’est une question managériale, pas une question d’efficacité du service public. La rentabilité ne fait pas la qualité ou le défaut de management.

Est-ce qu’un service public doit être géré comme une entreprise privée ?

Je pense que ce n’est pas le sujet. J’ai été directrice générale d’une mairie [Moirans, commune de 8 000 habitants dans l’Isère – NDLR], je ne me suis jamais posé la question de savoir si je manageais comme dans le privé ou non. Il faut manager des êtres humains, qui ont leur vie, leurs exigences en matière de temps de travail ou de rémunération, et de sens donné à leur travail.

On a le sentiment que cette réforme prépare les grands mouvements de transformation de l’État. Votre objectif est-il de faire des économies ?

Non. C’est un texte sur le management et les ressources humaines de la fonction publique. Il vise aussi à responsabiliser les employeurs publics en matière de précarité, d’égalité hommes-femmes, d’embauche des travailleurs souffrant d’un handicap, de sanction et de promotion. C’est une stratégie de dynamisation pour redonner de la souplesse aux carrières. « Action publique 2022 », la réorientation des services publics de l’État, la contractualisation dans les collectivités, les plans hôpitaux… Tout cela est séparé de ce texte de loi, qui sera applicable en dehors de toute réorganisation des services publics. Que l’on supprime un service ou non, qu’on réoriente ou qu’on supprime des postes, c’est un choix qui appartiendra au gouvernement dans le plan action publique 2022.

Émilie Chalas Députée LREM de l’Isère.

Travail
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