Israël : une campagne violemment anti-arabe

Le 9 avril, les Israéliens éliront leurs députés. Menacé dans les sondages, Netanyahou ne recule devant aucune bassesse.

Salomé Parent  • 2 avril 2019 abonné·es
Israël : une campagne violemment anti-arabe
© photo : Ahmed Tibi, leader du parti arabe israélien Ta’al, est la principale cible des attaques de l’extrême droite. crédit : AHMAD GHARABLI/AFP

B ibi vs Tibi », le mantra répété plusieurs fois par Benyamin Netanyahou pendant la campagne électorale a le mérite d’être clair. Bibi est le surnom du Premier ministre israélien, Ahmed Tibi est le député arabe israélien à la tête du parti Ta’al. Le slogan doit donc se comprendre comme : « Si vous ne votez pas pour moi, un Arabe deviendra Premier ministre. » Ce scénario invraisemblable de Netanyahou choque parfois, mais n’étonne assurément pas. Depuis le début de la campagne électorale, plusieurs candidats multiplient les petites phrases scandaleuses, quand elles ne sont pas clairement racistes, à l’encontre de la minorité arabe d’Israël.

À Haïfa, juifs et Arabes se croisent mais ne se mélangent pas. Souvent présentée comme la ville de la « cohabitation », la troisième ville d’Israël témoigne d’une réalité légèrement différente. Dans la vie quotidienne, chacun a ses quartiers, ses cafés et ses lieux de villégiature. Ceux qui font la démarche de se mélanger sont minoritaires. « Là où je sors, la majorité des clients sont palestiniens », explique Assaf Smair, un keffieh rouge autour du cou. Dans cette rue branchée de Haïfa, la majorité des cafés sont fréquentés et tenus par des Arabes israéliens, tel Assaf. Étudiant en arts à l’université de Haïfa, il explique que le 9 avril, comme à peu près 40 % des électeurs arabes, il boycottera le scrutin. « Voter, c’est faire le jeu de l’occupation. Israël nous laisse participer pour donner l’apparence d’une démocratie, mais dans les faits nous ne sommes pas les bienvenus », explique celui qui incarne une jeunesse palestino-israélienne éduquée, parfaitement bilingue en hébreu et en arabe, mais qui refuse d’avoir affaire aux institutions israéliennes. Quant aux partis arabes, il les met tous dans le même sac. « Nos députés ne servent à rien, si nous voulons agir, il faut le faire en dehors du Parlement. »

Représentant 15 % de l’électorat, les Arabes israéliens sont pourtant une force à même d’influer sur le scrutin. Pour réduire cette influence, la majorité des candidats juifs israéliens ont d’ores et déjà annoncé leur refus de s’allier avec les partis arabes, qui, en 2015, avaient recueilli 13 sièges à la Knesset (1), devenant ainsi la troisième force politique du Parlement. Cette année, les sondages prédisent aux formations Balad, Ta’al, Hadash et Ra’am, les mêmes qu’il y a cinq ans, un maximum de 11 sièges. Réunis sur une liste commune en 2015, ils se présentent cette fois divisés entre deux coalitions. Selon Arik Rudnitzky, chercheur au Centre Moshe-Dayan sur le Moyen-Orient et l’Afrique, à Tel-Aviv, « la séparation des partis est due à d’importants désaccords internes qui ont laissé la population sans illusions ». Hadash et Ta’al font campagne ensemble, face à l’alliance Balad et Ra’am. « Tout cela n’est que pure considération politique », juge le chercheur. Car, sur le papier, les alliés n’ont pas grand-chose en commun : « Ra’am est un parti islamiste, tandis que Balad est progressiste. » Quant à Hadash et Ta’al, leurs électorats sont diamétralement opposés, mais leurs dirigeants, Ayman Odeh et Ahmed Tibi, partagent une vision commune de leur rôle politique : ne pas boycotter la Knesset, car l’assemblée parlementaire constitue pour eux le seul endroit où, selon les mots d’Ahmed Tibi, juifs et Arabes sont « à égalité en termes de droits ». Un lieu, donc, où la voix des Arabes israéliens est susceptible d’être entendue.

Selon un sondage récent, la population arabe d’Israël attend aujourd’hui davantage de ses députés, notamment sur le thème de l’éducation, une priorité pour près de 53 % d’entre eux. Arik Rudnitzky doute néanmoins que la participation soit importante le 9 avril : « Les gens ont le sentiment d’un manque de renouvellement des propositions. Les discours des candidats ne sont pas constructifs. » Mais dans les rues, la campagne bat son plein. La stratégie de Hadash et de Ta’al est axée sur un humour grinçant. Photographiés devant deux bus, l’un rouge, l’autre jaune, qui rappellent les couleurs de leurs mouvements respectifs, les deux chefs de parti s’affichent tout sourire dans une mise en scène qui ne doit rien au hasard : elle s’inspire d’une vidéo publiée par Benyamin Netanyahou lors du scrutin de 2015 et dont le message, s’il avait le mérite d’être clair, ne brillait pas par sa finesse : « Les Arabes arrivent en meute. La gauche les met dans des bus [pour se rendre aux bureaux de vote]. Donc allez voter. »

Car Netanyahou le sait bien, les voix des Arabes israéliens comptent. En 1999, par exemple, pour faire barrage au Likoud (déjà conduit par Netanyahou), 97 % d’entre eux avaient voté pour le travailliste Ehoud Barak (pourtant très à droite), qui l’avait emporté. Une tactique qui joue aussi cette année : Nissan, 20 ans, a déjà choisi son candidat, là encore dans une logique d’opposition. « Je vais voter pour Benny Gantz pour faire barrage à Bibi », explique le jeune homme, originaire d’un village proche de la frontière libanaise. En Israël, Arabes ou non, beaucoup de ceux qui souhaitent se débarrasser de Netanyahou se tournent vers Gantz, ancien chef d’état-major qui commandait l’armée israélienne lors de l’offensive contre Gaza en 2014. À la tête de la coalition « bleu et blanc » qu’il a formée avec Yaïr Lapid, président du parti centriste Yesh Atid, Benny Gantz est qualifié de « trop à gauche » par ses adversaires politiques. Sous-entendu : ils le soupçonnent de vouloir faire alliance avec les partis arabes.

Las de se faire doubler sur sa droite, l’ancien chef de l’armée a profité de sa première allocution télévisée, le 19 mars, pour clarifier sa position, qui ne faisait d’ailleurs aucun doute : « Quand je formerai un gouvernement, je n’ai pas l’intention de coopérer avec ceux qui vont à l’encontre de l’État d’Israël », expression qui désigne clairement les partis arabes israéliens. Selon Arik Rudnitzky, Gantz, s’il remporte les élections, ne proposera pas aux députés arabes d’intégrer sa coalition – ce que ceux-ci probablement refuseraient – mais pourrait leur demander de le soutenir à la Knesset.

« S’il fait cette demande à Ayman Odeh et à Ahmed Tibi, ils accepteront peut-être, mais sous certaines conditions », prédit le politologue, pour qui la révocation de la « loi sur l’État nation », qui déchoit notamment l’arabe de son statut de langue officielle, fait figure de priorité. Car pour beaucoup d’Arabes israéliens l’adoption de ce texte en juillet 2018 inscrit dans la loi un traitement discriminatoire de la minorité palestinienne. « Nous sommes des citoyens de seconde zone », résume ainsi Samaa, 30 ans, danseuse dans une compagnie de Haïfa. De son côté, Benny Gantz s’est simplement engagé à « corriger » cette loi.

Revenant sur la polémique du « Bibi vs Tibi », Arik Rudnitzky se montre pragmatique. « C’est très problématique, mais Netanyahou l’a déjà fait, et il le fera encore. Il s’excusera peut-être après les élections, mais il essaie de mobiliser les votants juifs. » En sollicitant les pires instincts. S’il est le plus médiatisé, Netanyahou n’est pas le seul candidat à s’autoriser ces basses attaques. Il y a quelques jours, Ayelet Shaked, du parti d’extrême droite Nouvelle Droite, a profité de la fête de Pourim pour se « déguiser en Arabe », tandis que son colistier, Naftali Bennett, actuel ministre de l’Éducation, expliquait qu’une hypothétique alliance entre le Likoud et le parti bleu et blanc de Gantz mènerait forcément à la « création d’un État palestinien ».

À quelques jours des élections, les tensions en Cisjordanie et à Gaza remettent le conflit israélo-palestinien sur le devant de la scène politique et médiatique. Selon le journal Haaretz, 20 % des Israéliens non juifs – en grande majorité arabes – sont favorables à une annexion de la Cisjordanie mais à la condition de donner aux citoyens non juifs des droits identiques aux juifs, ce qui est encore loin d’être le cas. Ce qui constituerait une reconfiguration du conflit sur des bases démocratiques qui inquiètent beaucoup les actuels dirigeants israéliens, d’autant qu’une telle annexion ajouterait presque trois millions de citoyens arabes palestiniens.

À l’inverse, de nombreux partis de droite ou d’extrême droite sont en faveur d’une annexion pure et simple des terres de Cisjordanie occupées par les colons. Car depuis la reconnaissance unilatérale de la souveraineté israélienne sur le Golan par Donald Trump, le 25 mars, ceux-là espèrent que l’annexion de facto de la « zone C » – 61 % de la Cisjordanie déjà sous contrôle total israélien – sera la prochaine étape.

(1) La Knesset, chambre unique du Parlement israélien, compte 120 députés.

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