Gauche en état d’urgence

Tant pis si le mot « gauche » est « archaïque ». C’est la rançon d’une histoire contrastée, faite de victoires et de défaites, de fidélités et de trahisons.

Denis Sieffert  • 2 juillet 2019
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Gauche en état d’urgence
© crédit photo : DOMINIQUE FAGET / AFP

La formule est belle et non dépourvue de sens : « Quand on ne me demande pas ce qu’est la gauche, je sais parfaitement ce qu’elle est. Mais quand on me le demande, je ne sais plus. » L’auteur en est malheureusement Jacques Julliard. Mais paraphrasant saint Augustin. L’honneur est sauf ! Le théologien romain fit cette réponse en abyme un jour qu’on lui demandait « qu’est-ce que le temps ? ». La gauche, comme le temps, ressemble pour beaucoup d’entre nous à une évidence. Sa définition est plus intuitive que rationnelle. Mais pour les quelque six cents personnes réunies dimanche 30 juin sous le chapiteau du cirque Romanès pour assister au premier écho du « Big bang » lancé par Clémentine Autain et Elsa Faucillon, la question ne semblait pas se poser. Lorsque la députée insoumise rendit hommage à Carola Rackete, la jeune capitaine allemande du navire humanitaire Sea Watch 3 qui a osé défier Salvini, une ovation monta jusqu’aux cintres. Alors on se dit que la gauche, ça doit être ça ! Une jeune femme qui se met en danger pour sauver la vie des migrants. Et pour un simple principe d’humanité. Faute de savoir se définir, la gauche sait au moins se reconnaître.

Mais la question se complique dès qu’il s’agit de politique. Parce que parler de « gauches » – au pluriel –, c’est commencer à parler d’alliances et de pluralisme, à mettre en cause les hégémonies, à accepter d’être contesté. Ce peut être aussi, en effet, comme le redoutent Mélenchon et Jadot, se perdre dans la tambouille politicienne. Dans ce cas, pourquoi s’embarrasser de pareilles contingences quand on croit pouvoir seul se faire entendre du peuple ? Surtout quand les plaies sont encore vives d’un quinquennat calamiteux qui a fait subir au mot « gauche » les pires outrages.

Les débats sont donc permis. Ils sont même nécessaires.

J’en vois deux, au moins. Gauche ou populisme ? Mais la plupart de ceux qui se réclament du populisme ne prennent-ils pas soin eux-mêmes de le compléter du qualificatif « de gauche » ? Gauche ou écologie ? Mais la révolte des gilets jaunes ne l’a t-elle pas montré de la façon la plus claire, il ne peut y avoir de transition écologique sans justice sociale. Il faut donc que les discours cessent de procéder par additions, mais fusionnent les deux au point de les rendre définitivement inséparables. Il ne devrait donc pas y avoir, à ce stade, d’obstacle à une unité politique qui dépendra entièrement du contenu que ses protagonistes voudront bien lui donner. Il n’y a à cet égard aucune fatalité. C’est aussi stupide et naïf de prêter à cette unité des vertus magiques que de la vouer d’avance aux gémonies. Et tant pis si le mot est « archaïque ». C’est la rançon d’une histoire contrastée, faite de victoires et de défaites, de fidélités et de trahisons.

Combien de pétitions devrons-nous signer d’ici à la fin du quinquennat, et combien de manifestations – et avec quelle fortune ? – pour faire barrage à une politique qui a repris son cours comme si de rien n’était ? Voilà une réforme du chômage qui promet de jeter hors de tout système social près de trois cent mille chômeurs. Voilà une réforme de la retraite qui va miner jusqu’au principe même de la solidarité intergénérationnelle. Et, comble du cynisme, voilà maintenant un président qui, son « accord de Paris » en bandoulière, signe un traité de libre-échange avec un fasciste brésilien fossoyeur de la forêt amazonienne et des peuples qui y vivent depuis la nuit des temps. Qui peut arrêter le désastre ? On peut évidemment rêver d’un vaste mouvement social. Mais l’hypothèse est toujours hasardeuse et elle n’interdit pas de penser nos lendemains politiques. Si l’on ne veut pas que la seule échappatoire au macronisme soit les clones français de Salvini ou de Bolsonaro, il faut d’urgence songer à une alternative… de gauche écologiste ou écologiste de gauche. Comme on voudra. L’union, assurément, n’est pas suffisante, mais elle est nécessaire.

Il y avait, dimanche, presque toutes les composantes pour cela. Presque. C’est notre vocation, à Politis, et depuis les origines de ce journal, d’accompagner ce genre de propositions, et toutes celles qui iront dans ce sens, d’où qu’elles viennent. On pourra évidemment ironiser sur l’affichage. « Big bang » est une promesse cosmique très ambitieuse. La communiste Elsa Faucillon a préféré se placer sous les auspices de Stephen Hawking, qui rappelait que du Big Bang « sont nées à la fois la matière et la lumière », que de convoquer les mânes de Michel Rocard dont le big bang, en 1993 déjà, avait fait flop. Mais c’est une toute autre gauche qui est à la manœuvre aujourd’hui, clairement antilibérale, et antiproductiviste. Certes, tout doit être démontré. Mais il y a toujours quelque chose du pari pascalien dans ce genre d’entreprise. Ne rien faire, céder à l’amertume des échecs passés, s’abandonner au conspirationnisme (la faute, c’est les autres) ne peut pas être un projet politique quand l’urgence écologique et sociale nous « mord la nuque », pour reprendre le mot fameux, et plus que jamais d’actualité, de Daniel Bensaïd.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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