La tentation autoritaire

On doit s’interroger sur cette démocratie libérale qui suscite un tel rejet et qui risque de nous entraîner, tôt ou tard, dans de désastreuses aventures. La démocratie, la vraie, ne peut pas être antisociale.

Denis Sieffert  • 18 septembre 2019
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La tentation autoritaire
© crédit photo : Julien de Rosa / POOL / AFP

Voilà une enquête d’opinion comme on nous en propose régulièrement, qui dessine à gros traits un portrait robot du Français moyen, qui ne croit plus en ceci ou en cela, qui a le moral en berne, veut être mieux protégé, et juge son pays en déclin… L’exercice a évidemment ses faiblesses (1). Il brasse des généralités. « Les » députés, « les » médias, « les » syndicats subissent tous le même opprobre. Au diable les nuances et le pluralisme ! Le mort saisit le vif. 

Mais ce prisme déformant nous permet tout de même d’apercevoir quelques réalités. L’urgence écologique, par exemple, est bien là, désormais installée dans la conscience collective. Même si la moitié des personnes interrogées ne veulent pas que le combat contre le réchauffement climatique se fasse au détriment du social. Mais une autre réalité, très inquiétante celle-là, se confirme d’année en année. Une remise en cause de la démocratie, et son corollaire, une fascination pour la figure chimérique du chef. Un Bonaparte ou un général Boulanger qui mettrait au travail les chômeurs, puisque ceux-ci, nous dit le sondage, ne font pas les efforts nécessaires pour retrouver un emploi, et qui fermerait nos frontières aux migrants, puisqu’on ne se sent plus vraiment « chez soi ».

Dans cet imaginaire glaçant, l’autorité et la répression finiraient par régler les effets de la crise sociale, faute de régler la crise sociale elle-même. On pense à la fameuse formule de Pascal : « Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » Et on est frappé au passage par la porosité entre ces réponses et une partie du discours macronien… Il paraît donc que 36 % des Français seraient dans cette disposition d’esprit. Ceux-là, nous dit-on, ne croient plus dans la démocratie. Face à ce constat, on peut s’en tenir à une condamnation morale de ces « mauvais citoyens ». Ce fut longtemps le choix de la gauche.

Inversement, on peut, comme l’extrême droite, flatter leur obscurantisme, au nom du « peuple-qui-a-toujours-raison ». La première attitude est contre-productive ; la seconde est criminelle. Ni ceci ni cela, donc. Mais on doit s’interroger sur cette démocratie libérale qui suscite un tel rejet et qui risque de nous entraîner, tôt ou tard, dans de désastreuses aventures. La démocratie, la vraie, ne peut pas être ce système menteur qui nous parle d’égalité et d’universel, quand toute une politique dit le contraire. Elle ne peut pas être antisociale. L’affaire des retraites illustre parfaitement cette contrefaçon. Tous les mots sont pipés. La notion de privilège n’est utilisée que pour diviser. Dans le schéma libéral, les privilégiés ne sont jamais les super-riches. Et que dire de l’égalité ? C’est Rousseau mal revisité par Macron.

On se pince quand deux mots révolutionnaires, comme égalité et universalité, sont au cœur de l’argumentaire gouvernemental pour justifier une réforme injuste. Comme si les régimes spéciaux n’avaient pas été conçus après-guerre pour corriger des inégalités inhérentes à la pénibilité des métiers, aux irrégularités d’horaires, et à la faiblesse des salaires. Comme si la retraite à 55 ans des conducteurs de métro ne venait pas en compensation d’une vie passée dans un tunnel, avec le stress de professionnels qui, chaque jour, ont la responsabilité de milliers de vies humaines.

Prétendre créer une égalité de traitement au travers du seul système de retraite alors que tout, par ailleurs, produit de l’inégalité relève de l’imposture. Si le gouvernement se mêlait vraiment d’égalité, il agirait sur d’autres leviers. Il n’aurait pas supprimé l’impôt sur la fortune. Il se préoccuperait d’imposer plus fortement les revenus financiers. Il relèverait les taux des tranches supérieures de l’impôt (solution notamment préconisée par Thomas Piketty). Il irait peut-être jusqu’à fixer un seuil de richesse, comme le suggère la Fondation Copernic (2). Nous sommes évidemment très loin de tout ça. Et lorsque Jean-Paul Delevoye promet des compensations salariales à ceux qui renonceront à leur régime de retraite, il demande grossièrement de lâcher la proie pour l’ombre. L’insincérité de cette réforme saute aux yeux. Comme l’insincérité du discours gouvernemental en général. Un discours entièrement déterminé par l’obsession de contraintes budgétaires qu’il faut tenir sans toucher à la répartition des richesses.

Rarement on a eu plus qu’aujourd’hui le sentiment qu’une politique n’avait pour objectif que de circonvenir l’opinion. À mesure que se profile la probabilité d’une mobilisation sociale qui pourrait égaler celle de l’hiver 1995, le gouvernement multiplie les subterfuges qui aggravent la crise de confiance. La réforme, nous dit-on, ne s’appliquerait qu’en 2040. En espérant que la lutte des classes sera soluble dans le temps. Et, plus grave encore, Emmanuel Macron ressort le joker sarkozyste de l’immigration pour embarquer l’opinion dans un combat douteux. Où l’on voit que la démocratie libérale entretient avec les idées antidémocratiques une intimité plus étroite qu’il y paraît. Il serait évidemment absurde, et même irresponsable, de faire de Macron un dictateur. Mais il n’est pas exagéré de dire que la crise de confiance qu’il provoque peut annoncer de sombres lendemains. 


(1) Enquête Ipsos Sopra-Steria avec la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne. Cf. Le Monde du 17 septembre.

(2) Lire Vers une société plus juste, un manifeste publié par la fondation Copernic, 110 pages, 10 euros.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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