Le médecin malgré eux

Dans _Terminal Sud_, Rabah Ameur-Zaïmeche met en scène un climat d’oppression dans un pays indéterminé, entre l’Algérie et la France.

Christophe Kantcheff  • 20 novembre 2019 abonné·es
Le médecin malgré eux
© Potemkine Distribution

T erminal Sud n’est pas la suite de Bled Number One, le deuxième film de Rabah Ameur-Zaïmeche, réalisé en 2006, mais il y puise son origine. Bled Number One évoquait les années noires en Algérie, montrait un climat de violence dû essentiellement aux islamistes. Ce qui, du point de vue des représentations politiques, simplifiait considérablement les enjeux. Terminal Sud, son sixième long métrage, contient beaucoup plus de nuances et de complexité.

La première séquence montre un bus arrêté à un barrage par des hommes en tenue paramilitaire. Les voyageurs sont détroussés et un jeune militaire qui se trouve parmi eux est enlevé. Nul ne sait qui sont ces hommes imposant leur loi, de quel côté ils sont, à quel clan ils appartiennent. On découvrira ensuite que les forces de l’ordre officielles sont inexistantes et que ces bandes armées, parfois opposées entre elles, font régner la terreur dans le pays.

Mais de quel pays s’agit-il ? On pense évidemment à l’Algérie, d’autant que cette première séquence se déroule dans un paysage de vallées encaissées, sous la chaleur et au cœur d’une végétation méditerranéenne. Mais l’hôpital où exerce le personnage principal de Terminal Sud, le docteur (Ramzy Bedia), se situe dans une ville française. En réalité, le film ne cesse d’entretenir l’ambiguïté. Non seulement du point de vue des décors, mais aussi de l’intrigue qu’il développe. Et c’est incontestablement une de ses forces.

Si Rabah Ameur-Zaïmeche a laissé indéterminé le pays dans lequel se déroule l’action, c’est parce que la violence qu’il met en scène peut surgir partout. Il montre, par exemple, l’arrestation de journalistes indépendants et l’assassinat de leur rédacteur en chef (Nabil Djedouani). Dans la réalité, cette scène est désormais concevable en France. De la même façon, le docteur est pris pour cible par ces bandes armées. Il reçoit chez lui des lettres anonymes ornées d’un cercueil pour l’unique raison qu’il soigne les gens. Or, dans notre monde réel, les attaques contre ceux qui vont au secours de personnes en détresse sont maintenant monnaie courante…

En cela, Terminal Sud est le film le plus sombre du cinéaste. Il capte comme le ferait une plaque sensible un climat d’oppression permanent et généralisé. On y voit même une séance de torture où le docteur est confronté à un tortionnaire de type européen (Régis Laroche), dont les résonances sont à la fois historiques (la guerre d’Algérie) et très actuelles (la domination postcoloniale).

Cependant, Rabah Ameur-Zaïmeche n’a rien abandonné de sa manière. Il insuffle toujours autant de liberté à son récit, davantage soucieux d’amplitude poétique que d’efficacité narrative. Ainsi, lors de la veillée funèbre du rédacteur en chef assassiné, les femmes chantent un air traditionnel suédois (!), tandis que les hommes, en particulier son ami Moh (Slimane Dazi), entonnent Les Pêcheurs de perles, de Bizet : « Je crois entendre encore / Caché sous les palmiers / Sa voix tendre et sonore… » Le cinéaste a aussi privilégié la présence des éléments et la matérialité des corps, s’appuyant davantage sur l’incarnation pour étayer sa vision que sur du discours.

Dans cette voie, il est amplement aidé par Ramzy Bedia, qu’on n’avait jamais vu dans un tel rôle au cinéma. L’acteur déploie ici sa silhouette impressionnante dans un univers hostile. Il a du coffre et donne à son personnage l’allure d’un colosse fragile. Le docteur est un homme dévoué à sa mission de médecin qui, face aux menaces, est de plus en plus gagné par la peur. Une peur qui le mine, le dévore. Au point, peut-être, de ne pouvoir rester soi-même. Sauf à compter sur ce qui résiste à la barbarie : l’amitié et la beauté du monde.

Terminal Sud, Rabah Ameur-Zaïmeche, 1 h 36.

Cinéma
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