Nathalie Quintane : Délier la langue

Avec Les enfants vont bien, Nathalie Quintane publie un livre ironique et politique de citations plus ou moins officielles concernant les réfugiés.

Christophe Kantcheff  • 4 décembre 2019 abonné·es
Nathalie Quintane : Délier la langue
© Bamberger

Le nouveau livre de Nathalie Quintane est un prolongement du précédent, Un œil en moins, publié au début de l’an dernier (1). Estimant que celui-ci était « insuffisant à rendre compte de la violence faite en France » aux réfugiés – mais son objet était bien plus large –, l’auteure a cherché à rendre cette violence évidente. Il s’est agi pour Nathalie Quintane de constituer un -florilège de brèves citations, parfois coupées abruptement, venant d’« un ensemble de paroles et de textes […] issus aussi bien des institutions de la République que d’instances ou de concitoyens qui croient bien faire ».

Ainsi, Les enfants vont bien est une collection de fragments identifiés selon une typographie différenciée et la place occupée sur chaque page : propos de -responsables politiques, textes de loi, recommandations exprimées par des animateurs des centres d’accueil et -d’orientation ou articles de la presse quotidienne. À cela s’ajoute, « un peu à part – parce que le vocabulaire, la -syntaxe, la ponctuation n’ont pas le même ton et témoignent d’une vision réellement différente de la situation –, l’expression de la ténacité, de la fatigue, du découragement des réseaux d’aide », située, elle, en bas de page.

Le résultat est assez fascinant. Si l’auteure n’a pas écrit les mots qui y sont contenus, on retrouve dans Les Enfants vont bien ce qui fait la marque de Nathalie Quintane : une charge politique qui passe par une ironie mordante et la mise au jour d’une inhumanité assumée.

Le choix opéré est évidemment crucial, de même que les rapprochements effectués, formant des doubles pages parfois accablantes. Comme celle-ci : « L’efficacité opérationnelle entre les forces de l’ordre françaises et italiennes témoigne de l’importance de la coopération binationale dans ce champ » (parole de politique) / « On retrouvera des corps dans les ravins » (extrait de presse). Ou celle-là : « Famille A : le plus jeune enfant souffre d’une maladie génétique rare qui a provoqué un coma. Le diagnostic a été posé au CHU et la mise en place d’un régime est nécessaire. Ils doivent faire une demande de régularisation au titre d’enfant malade mais pour cela, il faut l’avis de l’OFII qui sera… » (réseau d’aide) / « Les choses vont donc se structurer et s’organiser de façon un peu plus cadrée, au mieux des besoins maintenant clairement identifiés » (centre d’accueil).

Avec les effets de montage, l’accumulation de tournures ou de formules trahit une politique et un esprit. À côté de la régression pathétique du discours politique et de l’opacité bureaucratique des textes de loi, le paternalisme qui gangrène les esprits dans les centres d’accueil apparaît ici crûment.

Les enfants vont bien est un livre de poète. Nathalie Quintane rend d’ailleurs hommage à ceux qui l’ont précédée dans cette démarche et cette forme : Charles Reznikoff, Heimrad Bäcker et Jacques-Henri Michot, auteur d’un livre au titre éloquent : Un ABC de la barbarie. Comme eux, Nathalie Quintane révèle la face honteuse des langages.

(1) Aux éditions POL. Voir Politis n° 1506, du 6 juin 2018.

Les enfants vont bien, Nathalie Quintane, POL, 240 pages, 18 euros.

Littérature
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