Retraites : Et maintenant, la guerre de positions

À l’Assemblée, la majorité devra affronter une opposition plus remontée que jamais, alors que la CFDT cherche à se démarquer de son ralliement d’hier. Le mouvement social, lui, reste mobilisé.

Erwan Manac'h  • 5 février 2020 abonné·es
Retraites : Et maintenant, la guerre de positions
© Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, lors d’une réunion de la conférence de financement, le 30 janvier.CHARLES PLATIAU/POOL/AFP

Quatre jours, pour achever la destruction-reconstruction d’un pilier de la Sécurité sociale. C’est la mission impossible qui était confiée à la commission spéciale de l’Assemblée nationale pour les retraites, le 3 janvier. La semaine de prolongation et les débords sur les week-ends n’y changeront probablement rien, vu l’ampleur de ce double projet de loi, la quantité d’interrogations qu’il continue de soulever et la stratégie de guérilla que la gauche a déployée – fait inédit – dès la phase de commission. La majorité se pose en victime, Olivier Véran, l’un des 7 corapporteurs du projet, raille le « totalitarisme d’opposition » et le « zadisme législatif », mais la gauche assume. « Le gouvernement souhaite faire rentrer la rivière dans son lit, nous espérons faire entrer la colère des Français à l’Assemblée nationale et être à la hauteur du mouvement social, nous utiliserons tous les espaces et les outils pour cela », résumait le député Pierre Dharréville, président du groupe communiste quelques minutes avant d’entamer la joute oratoire. 21 661 amendements ont été déposés, dont 19 713 par la seule France insoumise (LFI).

Lors du premier tour de chauffe, lundi 3 février, PS, LFI et PCF ont fait front commun pendant huit heures, déversant un torrent continu d’arguments contre le texte de loi, devant une majorité médusée. Tantôt techniques, tantôt politiques, ironiques ou vindicatifs, alinéa par alinéa, ils démontent le texte dans un marathon oratoire qui tourne rapidement au monologue. Le secrétaire d’État aux retraites, Laurent Pietraszewski, et les députés de la majorité ne répondant à leurs interpellations qu’en de rares occasions et jamais précisément.

La majorité, fragilisée par des défections en cascade ces derniers jours et l’avis acide du Conseil d’État sur les deux projets de loi retraites, qui a visiblement beaucoup inspiré l’opposition, laisse pour l’heure s’installer cette guerre des tranchées parlementaire en tentant d’afficher un visage souriant. Les 16 000 amendements identiques de La France insoumise pourront être défendus, à raison de 2 minutes par intervention lorsque le député qui le dépose est présent. Les discussions ne pourront donc certainement pas s’achever avant le 17 février, date de début d’examen en séance plénière.

Le groupe socialiste, qui répète sa consternation face au rythme imposé par une réforme qui impliquera « un quart des dépenses publiques et l’avenir de notre modèle social », a dû lire et relire le règlement de l’Assemblée : en cas de chevauchement entre la séance publique et la commission, c’est cette dernière qui doit interrompre ses travaux avant leur terme. Le texte non amendé serait alors examiné en séance, court-circuitant le travail de la commission.

Dans l’hémicycle, il sera également question de court-circuiter les discussions qui doivent durer seulement deux semaines, délai intenable face à la pluie d’amendements qui s’abattra aussi en séance plénière, forçant cette fois-ci le gouvernement à recourir à l’article 49.3 qui permet de voter une loi sans débat, s’il veut maintenir ses délais. Une menace agitée par le président du groupe MoDem, Patrick Mignola. Tandis que l’opposition étudie la possibilité de présenter une motion de censure et une motion référendaire, qui n’ont que très peu de chance d’aboutir.

Une partie de la loi échappera de toute façon à la sagacité des parlementaires, car 29 articles portant notamment sur le financement du futur régime et la transition d’un système à l’autre devront être rédigés par ordonnances. Ces trous dans le texte de loi visent notamment à intégrer les propositions de la « conférence de financement », réunissant syndicats et patronat, qui commencera ses travaux en même temps que l’Assemblée nationale, mi-février. Elle aura jusqu’au 30 avril pour trouver les 12 milliards d’euros qui manquent au régime de retraite avant toute réforme et faire des propositions sur la gouvernance du futur régime. Pour l’heure, la CFDT refuse de mettre ses propositions sur la table et semble vouloir monnayer un peu plus chèrement son ralliement au projet de réforme. « Il est hors de question que nous discutions de faire 12 milliards d’euros d’économie sur les pensions, s’agace Frédéric Sève, le monsieur retraites de la CFDT, qui réclame à travers une quarantaine d’amendements des changements substantiels dans le texte de loi, notamment sur la pénibilité. Il faut arrêter de faire comme si la justice sociale était un complément de luxe à la réforme, il doit être son ingrédient essentiel. Les Français ne sont pas tétanisés par les mesures d’âge [et l’idée de travailler plus longtemps]_, ils veulent qu’elles ne soient ni technocratiques ni aveugles et qu’elles s’expriment en matière de justice. »_ Le ton a donc changé à la CFDT, depuis le communiqué triomphateur louant sa prétendue « victoire », le 9 janvier, lorsqu’Édouard Philippe lui accordait un retrait, provisoire et conditionnel, de « l’âge pivot ».

Pendant ce temps, l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires) continue d’organiser une mobilisation par semaine, malgré une certaine lassitude et les vacances scolaires qui s’étaleront du 8 février au 9 mars selon les zones, ce qui devrait l’empêcher de mobiliser massivement. Chez les éboueurs, dans les centres d’incinération, dans les facs et les lycées comme chez les professions indépendantes, la mobilisation donne encore des signes de vigueur, assure toutefois Éric Beynel, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires. « Les municipales nous donnent aussi l’occasion, partout en France, d’aller remercier les candidats de la majorité pour leur travail », ironise le syndicaliste, qui croit dans « l’intelligence collective » pour accoucher de formes nouvelles de mobilisation.

Ironie de l’histoire, le front syndical vient de trouver au Medef un allié objectif sur la question du plafonnement du régime de retraites pour les revenus supérieurs à 10 000 euros par mois. L’organisation patronale s’inquiète que ces « super-cadres », exclus du régime de retraites public, doivent souscrire des assurances privées qui « peuv[ent] signifier un taux de remplacement à la retraite divisé par deux pour le top management », s’étrangle un patron cité par Les Échos. Le Medef craint même que cette mesure fasse perdre aux entreprises françaises de la « compétitivité », si elles devaient multiplier les bonus pour continuer d’attirer en France les super-cadres. La macronie ne peut donc plus compter que sur son obstination pour avancer, seule.

Économie Travail
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