Festival Panorama de Rio de Janeiro : Le Brésil en exil

Le Centre national de la danse, à Pantin, accueille le festival Panorama de Rio de Janeiro, dont l’édition 2019 a dû être annulée après l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro.

Jérôme Provençal  • 4 mars 2020 abonné·es
Festival Panorama de Rio de Janeiro : Le Brésil en exil
© O Samba do Crioulo Doido, un solo de Luiz de Abreu.GIL GROSSI

En matière de chef d’État grossier et populiste, on a pu penser avoir atteint un degré de calamité inégalable avec Donald Trump, devenu président des États-Unis en janvier 2017 et visiblement résolu à transformer la Maison Blanche en café du commerce où toutes les insanités sont permises. Hélas, la démagogie apparaît comme un puits sans fond dans le monde actuel et, moins de deux ans après son imposant voisin du nord, le Brésil s’est à son tour doté d’un président (au moins) aussi veule et dangereux que Trump en la personne de Jair Bolsonaro.

Inutile de dire que la culture ne revêt pas une grande importance aux yeux de ce dernier… Persuadé que le Brésil se trouve sous l’emprise d’un « marxisme culturel », il s’est lancé dans une vaste opération de refonte aux allures de croisade. Dès le mois de janvier 2019, le ministère de la Culture a été supprimé. La culture se trouve désormais reléguée au rang de simple secrétariat du ministère de la Citoyenneté et subit en conséquence de sérieuses coupes budgétaires.

En outre, le montant annuel maximal autorisé par la loi Rouanet de 1991 – emblématique de l’aide au financement des projets artistiques par des entreprises privées (en échange d’une exonération fiscale) – a été ramené à 1 million de reais (environ 202 000 euros) par projet contre 60 millions auparavant.

Si Bolsonaro prend d’abord le cinéma dans son viseur, réclamant des films «qui intéressent la population dans son ensemble et pas seulement les minorités », aucun domaine artistique n’est épargné. Le spectacle vivant ressent aussi fortement l’impact de cette politique anti-culturelle, comme en témoigne le cas du festival Panorama, à Rio de Janeiro.

Créé en 1992, à l’initiative notamment de la chorégraphe Lia Rodrigues, le festival invite à une traversée sélective du champ de la danse contemporaine avec un focus particulier sur la scène sud-américaine. À la suite des diverses mesures adoptées par le gouvernement de Bolsonaro, suscitant un climat très défavorable, l’édition 2019 a été annulée.

« Beaucoup d’artistes brésiliens résistent et tentent de mettre au point des stratégies pour pouvoir continuer à créer, mais la question du financement est réellement alarmante et les réductions budgétaires constituent aussi une forme sophistiquée de censure, explique Nayse Lopez, directrice de Panorama depuis 2006. L’annulation du festival résulte en partie du manque de financement. Par ailleurs, le contexte était tellement extrême politiquement et socialement qu’il m’a semblé impératif de repenser entièrement notre projet. C’est ce que nous faisons en ce moment. »

Dans la continuité directe du travail d’accompagnement d’artistes du Brésil qu’il mène depuis plusieurs années (le danseur et -chorégraphe Volmir Cordeiro a par exemple été artiste associé entre 2017 et 2019), le Centre national de la danse (CND), à Pantin, a décidé d’accueillir le festival Panorama. Anticipant la menace incarnée par Bolsonaro, ce projet a été lancé dès décembre 2018 et répond évidemment à des considérations à la fois artistiques et politiques. « Plus que jamais, je pense qu’on ne peut pas rester neutre, déclare Aymar Crosnier, directeur adjoint du CND. Il faut prendre position. Cela fait partie de la responsabilité d’une structure comme la nôtre. »

Proposant des spectacles, des performances, une exposition (centrée sur le motif de la terre), des tables rondes, des ateliers et aussi des fêtes (chaque samedi soir), ce Panorama en exil à Pantin – dont la direction artistique est assurée en binôme par Nayse Lopez et Aymar Crosnier – se déroule pendant trois semaines et se divise en trois parties suivant chacune un axe temporel : Futur, Passé, Présent.

Parmi les spectacles figure Quando Quebra Queima, pièce tumultueuse, pleine de joie insurrectionnelle, déployée au milieu du public. Elle est due à ColetivA Ocupação, un collectif d’artistes et militant·es de São Paulo, formé en 2015, qui aborde les événements politiques contemporains par le biais de créations mêlant art, activisme et éducation.

Autre point fort de la programmation : O Samba do Crioulo Doido. Aussi singulier que virulent, ce solo de Luiz de Abreu tourne en dérision les formes du ballet classique autant que les stéréotypes racistes et se démarque en particulier par son usage joliment insolite du drapeau national brésilien. Créé en 2004, le solo est aujourd’hui transmis par Luiz de Abreu à Calixto Neto. La pièce se perpétue et se transforme tout en restant foncièrement transgressive.

Vivant depuis 2013 principalement en France, où il était venu pour suivre la formation « Exerce » au Centre chorégraphique national de Montpellier, Calixto Neto retourne régulièrement au Brésil et suit de près l’évolution de la situation. « Il y a de moins en moins de liberté et de subventions. C’est inquiétant, même si des formes de lutte et de solidarité s’organisent, notamment à Salvador de Bahia. Ce qui se passe actuellement au Brésil peut aussi se produire ailleurs. Nous devons agir autant que nous pouvons contre ce danger, chacun avec ses propres moyens. »

Panorama Pantin, le Brésil au CND, du 5 au 21 mars, www.cnd.fr

Spectacle vivant
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