« J’espère qu’avec cette crise, l’hôpital français pourra renaître de ses cendres »

Aujourd’hui, dans #LesDéconfinés, Nathalie, infirmière mulhousienne au chevet des patient·es du Covid en Suisse. Si certain·es lui reprochent de déserter les malades de Mulhouse face au virus, c’est l’hôpital français qui l’a fait fuir.

Marie Toulgoat  • 16 avril 2020
Partager :
« J’espère qu’avec cette crise, l’hôpital français pourra renaître de ses cendres »
© PHOTO D'ILLUSTRATION : UNE INFIRMIÈRE À BAGNOLET (LUDOVIC MARIN / AFP)

Infirmière de métier et habitant à Mulhouse, je devrais être au front et au bord de l’épuisement. Mulhouse paye un lourd tribut, nous connaissons toutes et tous une personne endeuillée. Je suis infirmière, en médecine interne qui plus est : les infections, c’est mon rayon. Pourtant, je n’exerce pas à Mulhouse, mais dans un grand hôpital à Bâle, en Suisse.

#Lesdéconfinés, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.

À Mulhouse, je me sens obligée de me justifier tout le temps de ne pas être au front et à la guerre comme les héroïnes de l’hôpital Émile Müller. Ici, les frontalier·es, qui viennent de France et qui travaillent en Suisse, ne sont pas très bien vu·es. Alors être infirmière frontalière en temps de crise sanitaire, c’est encore pire. Dois-je me sentir traître, alors que c’est l’hôpital français qui m’a fait fuir ? Pour ma part, je ne vois pas de différence entre soigner un·e Suisse·sse et soigner un·e Français·e. Par ailleurs, sans le personnel frontalier, le système de santé suisse s’effondre, tout simplement.

En pleine crise du coronavirus, le système hospitalier bâlois ne s’est pas écroulé comme en France. J’ai fait très peu d’heures supplémentaires, pourtant mon hôpital a pris en charge beaucoup de patient·es en provenance de Mulhouse en plus des malades de Suisse. Le personnel médical suisse ne sortira pas de cette crise dans le même état qu’en France.

L’hôpital suisse est un hôpital qui coûte plus cher que l’hôpital français, c’est certain. Toutefois, pour l’heure, je ne suis pas prête de revenir travailler à Mulhouse. L’hôpital français souffre d’un manque de moyens humain et matériel, et aussi d’un management qui date d’un autre âge. J’ai été élève infirmière à Mulhouse, j’y ai vu des équipes peu soudées, sous le joug d’un encadrement clientéliste, des décisions hiérarchiques imposées sans discussions, des plannings donnés 15 jours à l’avance. En tant qu’élève, j’y ai vécu un harcèlement moral épuisant, un stress énorme, des cadres peu aidants face à des situations récurrentes de conflit.

Au contraire, à Bâle, je vais au travail la joie au ventre, la joie de retrouver mes collègues, la joie de soigner que j’avais perdue. Là-bas, beaucoup de décisions sont co-construites. Les soignant·es sont reconnu·es, je me sens valorisée, et pas seulement par mon salaire. Mon planning est bouclé deux mois avant, la cadre de santé est impliquée dans le service et met la main à la pâte en cas de coup dur. Je suis devenue tutrice d’élèves, qui sont aidé·es, épaulé·es et intégré·es dans un vrai parcours de formation. Ce ne sont pas nos esclaves !

J’espère qu’avec cette crise, l’hôpital français pourra renaître de ses cendres, avec une vague d’embauches sans précédent, des formations revalorisées, des tuteurs et tutrices formé·es, des cadres au service de leurs équipes. Finalement, un hôpital au service de l’humain, qu’il s’agisse des patient·es ou du personnel !

Nathalie, lectrice de Politis, nous a fait parvenir son témoignage par mail à l’adresse web@politis.fr._

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle
Médias 11 juillet 2025

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle

Cette année encore, France Télévisions a reconduit Franck Ferrand aux commentaires en charge du patrimoine lors du Tour de France. L’historien, très contesté, fan de Zemmour et de thèses révisionnistes, n’hésite pas, insidieusement, à faire passer ses idées.
Par Pierre Jequier-Zalc
La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien
Luttes 11 juillet 2025

La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien

Si le Tour de France est avant tout un événement sportif, il permet aussi à des luttes sociales et politiques de mettre en avant leur combat. Comme lundi dernier, à Dunkerque pour sauver les emplois d’ArcelorMittal.
Par Pierre Jequier-Zalc
« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »
Entretien 11 juillet 2025 abonné·es

« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »

Alors qu’un accord d’échange des personnes exilées a été trouvé entre la France et le Royaume-Uni, Amélie Moyart, d’Utopia 56, revient sur les politiques répressives à la frontière et le drame qui a conduit l’association à porter plainte contre X pour homicide involontaire.
Par Élise Leclercq
Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020
Enquête 10 juillet 2025 abonné·es

Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020

L’homme, alias Napoléon de Guerlasse, est l’administrateur du site Guerre de France, qui servait au recrutement du groupe jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Militant d’extrême droite soutenu par le parti lepéniste aux municipales de 2020, son absence au procès interroge.
Par Pauline Migevant