Marlène Schiappa a la laïcité mouvante

Autrefois tenante d’une conception inclusive, la ministre déléguée à la Citoyenneté a soudain basculé dans une position radicale.

Roni Gocer  • 28 octobre 2020
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Marlène Schiappa a la laïcité mouvante
© Arthur Nicholas Orchard/AFP

Posture d’autorité et discours martial. Depuis son arrivée à Beauvau en juillet, Marlène Schiappa s’est approprié les codes de la maison. D’un média à l’autre, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté met en scène la fermeté de l’État en assurant la promotion du projet de loi contre les « séparatismes », devenu depuis « projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains ». Lorsqu’elle évoque la défense de la laïcité contre « l’islam radical, sa principale menace », ou qualifie La France insoumise d’« islamo-gauchiste », ses mots évoquent le souvenir de l’ancien -Premier ministre Manuel Valls. Lui-même avait construit une partie de son identité politique autour d’une vision guerrière de la laïcité. Au-delà des formules qu’elle reprend, -Marlène Schiappa repêche également certaines de ses idées, comme la création d’une « unité de contre-discours républicain », annoncée le 23 octobre en réaction au meurtre de l’enseignant Samuel Paty. En 2015, quelques jours après les attentats de Charlie Hebdo, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, lançait une plateforme Internet aux objectifs similaires, nommée « Stop djihadisme » ; arrêtée en 2018, elle a un bilan mitigé.

Si, aujourd’hui, la filiation politique est palpable, elle était loin d’être décelable en 2014, lorsque Marlène Schiappa signait une tribune pour le Huffington Post intitulée : « Non, cher Manuel Valls, les quartiers ne sont pas antisémites ». Elle évoquait alors les effets délétères d’une _« laïcité dévoyée » stigmatisant notamment les mères accompagnatrices portant le voile pendant les sorties scolaires.

Difficile de retracer l’itinéraire de la ministre d’une position à l’autre. De ses débuts sur le Net, peu de textes persistent. À l’époque, c’est d’abord avec son blog, « Maman travaille », que Marlène Schiappa se fait connaître. En 2009, elle prend la plume pour le Neuilly Bondy Blog. « À l’époque, elle avait une parole critique sur l’islamophobie, rapporte la journaliste Widad Ketfi, qui l’a côtoyée au Bondy Blog. Je me souviens qu’elle raillait un certain double discours qui insinuait que les musulmanes venant de quartiers populaires vivaient sous une chape de plomb mais passait sous silence les pressions auxquelles peuvent être soumises les filles venant d’un milieu catho -traditionnel. » Dans ses articles ou au cours de discussions informelles avec ses collègues du Bondy Blog, tout laisse croire que Marlène Schiappa défend une vision inclusive de la laïcité. Progressivement, elle délaisse le Web et s’éloigne du journalisme. À mesure qu’elle prend des responsabilités, ses positions se durcissent. « Je n’arrive pas à savoir à quel moment elle a défendu ses convictions. Si c’était à l’époque du Bondy Blog, ou maintenant qu’elle est au gouvernement », s’interroge Widad Ketfi.

Entre le parcours associatif et la scène politique nationale, le trait d’union se trouve au Mans. C’est là-bas qu’en 2014 Marlène Schiappa rejoint l’équipe municipale de Jean-Claude Boulard, en tant qu’adjointe chargée de l’égalité et de la lutte contre les discriminations. À l’époque, elle n’exprime pas de position marquée sur la laïcité ou à l’égard des -communautés -religieuses de la ville. « Au niveau local, il est fréquent que les élu·es adoptent un discours plus apaisé sur la laïcité qu’au niveau national, où peuvent se mêler les enjeux religieux, politiques ou internationaux », commente Philippe Gaudin, directeur de l’Institut européen en sciences des religions. « À l’échelle d’une ville, la laïcité s’adapte en conséquence, et les arrangements sont coutumiers entre un édile et des représentants religieux locaux et reconnus par la justice administrative. Le Conseil d’État autorise par exemple qu’une mairie subventionne la construction d’un parking près d’une église si elle estime que ça répond à un intérêt public local. »

En milieu de mandat, Marlène Schiappa s’éloigne de ses fonctions locales et s’investit dans la campagne présidentielle, sous la bannière d’En marche. Dans le même temps, elle rejoint entre mars et juin 2016 le cabinet de la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol (PS). Contactée, cette dernière refuse de commenter le passage de celle qui lui succédera, « trop bref » pour avoir eu son importance.

Lorsque Emmanuel Macron accède à l’Élysée, Marlène Schiappa est nommée secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Dans la foulée, elle publie, début 2018, un livre coécrit avec Jérémie Peltier (1), intitulé Laïcité, point !, où elle énonce sa vision d’une laïcité « sans adjectif ». « C’est un discours assez répandu de dire qu’on peut ne pas adjectiver la laïcité », note l’historienne Valentine Zuber. « En fait, son positionnement se situe de plus en plus nettement du côté de ceux qui défendent une conception universaliste de la laïcité au sein du gouvernement. C’est-à-dire ceux qui sont favorables à une extension du domaine de la laïcité au-delà de la définition juridique que lui donne la loi de 1905. »

Réputés proches du Printemps républicain, les tenants de cette ligne militent pour que l’expression religieuse dans l’espace public fasse l’objet d’un cadre plus strict. Le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, s’y inscrit pleinement. « D’autres, comme Gérard Collomb lorsqu’il était à l’Intérieur, défendent une laïcité dite inclusive, limitant l’obligation de neutralité religieuse dans l’espace public aux fonctionnaires de l’État, précise l’historienne. Le Président a cherché à construire un équilibre, en réunissant dans son gouvernement des figures associées à ces deux conceptions de la laïcité. La nomination de Marlène Schiappa répond à cette logique-là. Mais, aujourd’hui, la majorité du gouvernement bascule clairement en faveur d’un durcissement de la laïcité. L’équilibre est rompu. »


(1) Directeur des études à la Fondation Jean-Jaurès, Jérémie Peltier est signataire de la tribune de 49 personnalités, publiée dans Le JDD le 25 octobre, demandant le départ des responsables de l’Observatoire de la laïcité.

Politique
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