Étincelles nocturnes

Conçu par Ingrid Astier et Jean-Baptiste Hanak, et superbement interprété par Pierre Richard, l’album Nuit à jour est atypique et poétique.

Jérôme Provençal  • 2 décembre 2020 abonné·es
Étincelles nocturnes
© Yannick Saillet

Au confluent de plusieurs disciplines, cette insolite aventure artistique a démarré avec un livre, Petit Éloge de la nuit, signé Ingrid Astier. Ayant acquis une reconnaissance importante grâce à ses romans policiers (Quai des enfers, Angle mort et Haute Voltige), tous parus dans la légendaire « Série noire » de Gallimard, l’écrivaine française tenait à rendre un hommage à la nuit, qui occupe une place essentielle dans sa vie. « Tout en moi pourrait se résumer par la nuit, confie Ingrid Astier. J’aime vivre dans ses replis. La nuit est une confidente, une amie. Notre envers le plus sincère. Elle fuit le visible, le tapageur. La nuit est le vêtement de l’esprit. »

Publié en 2014 chez Folio, dans la série des « Petits Éloges » aux thèmes très divers, le livre invite via un abécédaire à une immersion dans l’océan miroitant de la nuit, naviguant tout du long entre les rivages du réel et les nuages du rêve. Petit Éloge de la nuit va ensuite devenir un spectacle, conçu par Ingrid Astier avec Jean-Baptiste Hanak, musicien connu en particulier comme moitié du (défunt) duo électro dDamage, et Pierre Richard, grand comédien sur lequel le temps semble n’avoir aucune prise.

« Pierre Richard est un être rare – le seul arc-en-ciel de nuit que je connaisse, dit joliment de lui Ingrid Astier. À 86 ans, il arrive encore avec un quart d’heure d’avance aux rendez-vous. Chez lui, le désir est premier. Il est à son art tout entier. Professionnel comme personne. Distrait mais jamais dissipé. »

Créée en 2017 à Paris, au Théâtre du Rond-Point, cette version scénique du Petit Éloge de la nuit tourne en France, en Suisse, en Belgique et au Luxembourg avant de boucler la boucle à Paris, à la Scala, en 2019. Porté par une belle dynamique, le trio décide alors de poursuivre l’expérience sous forme d’un album.

Jonglant entre guitare, basse, synthé et programmations rythmiques, Jean-Baptiste Hanak compose les parties musicales, sinueuses et entêtantes. Quant à Ingrid Astier, elle se charge de l’écriture des paroles (adaptées du livre) et, telle une metteuse en scène, s’attache à diriger Pierre Richard. En mode parlé-chanté, celui-ci apparaît ici comme un superbe interprète, dont la voix tonique et folâtre semble capable d’exprimer mille et une nuances, de la joie à la mélancolie en passant par la surprise, la curiosité ou encore la sensualité. « Pierre a une capacité d’improvisation incroyable, comme un musicien de jazz, constate Ingrid Astier. Je le poussais à libérer l’inépuisable réserve d’émotions en lui afin que l’on découvre un autre Pierre, d’une sensibilité infinie. »

Intitulé Nuit à jour, le résultat final apparaît aussi original que captivant. L’album contient au total quinze scintillants courts métrages sonores qui flottent entre crépuscule et aube avec une grâce légère nimbée de poésie. D’un bout à l’autre se distingue dans la voix de Pierre Richard une lueur malicieuse pareille à celle, inextinguible, qui brille dans ses yeux.

Nuit à jour****, Pierre Richard, Modulor.

Petit Éloge de la nuit, Ingrid Astier, Gallimard/Folio, 2 euros.

Musique
Temps de lecture : 3 minutes