Debout les festivals !

Stéphane Villain, président du festival les Petites rêveries dans la Nièvre, refuse de rester assis et silencieux. Il donne la véritable définition des festivals, basée sur la convivialité. À l’opposé des recommandations du gouvernement.

Stéphane Villain  • 26 février 2021
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Debout les festivals !
© EDITION 2019 DU FESTIVAL LES PETITES RÊVERIES À BRINON-SUR-BEUVRON. CRÉDIT : JEAN-GUY LEJAY

La convivialité tue. » Je pense que le gouvernement devrait imposer ce slogan sur toutes les affiches de festivals comme il le fait avec son « Fumer tue » sur les paquets de clopes. Dans la cacophonie des annonces les plus incompréhensibles, nous avons appris récemment que les festivals de cet été pourront, pourraient, se tenir… assis ! Sans restauration ni bar. Ahaha !

Mesdames et messieurs les élites, que n’avez-vous encore pas compris dans les mots culture et festival ? À peu près tout. En tout cas dans leur acception populaire.

Le spectacle ou le concert n’est pas nécessairement le but ultime, tout comme la destination n’est rien sans le voyage. C’est le partage, la rencontre, l’échange qui nous enrichit. C’est sortir d’un spectacle et partager ses ressentis avec ses voisins, ses amis. C’est surprendre le même rire ou la même petite larme écrasée à la sauvette par ce vieil « ennemi », qui tout d’un coup l’est moins. C’est discuter avec les artistes, découvrir, appréhender ou comprendre un monde qui nous était inconnu ou voilé par les à priori. C’est des bénévoles d’ici et là, de tous âges et de toutes origines, fédérés autour de l’événement, mais qui le resteront bien encore après. C’est tout ça et bien plus encore. La culture, les festivals, c’est la vie ! Et la vie tue.

Nan ? Si !

C’est malheureux et chaque perte est douloureuse, mais la vie tue et ça en fait d’ailleurs tout son sel. Il faut vivre et faire les choses aujourd’hui parce que l’on ne sait pas de quoi sera fait demain. Nous découvrons rapidement que notre vie est finie, et non pas infinie, qu’il faut la prendre à bras le corps avant que la mort ne le fasse de ses bras désincarnés. Une vie riche et intense. Plus de 3 000 personnes tuées sur les routes chaque année. Nous empêche-t-on de rouler ? Non. Des règles de conduite sont mises en place.150 000 personnes meurent de cancer chaque année en France. Nous empêche-ton de fumer, de boire, de respirer pour autant ? Non plus. Des consignes, de l’éducation, des alertes et des conseils de pratiques sont développés.

La majorité des gens meurent dans un lit ; le gouvernement va-t-il nous obliger, à l’heure où nous devons nous tenir assis aux festivals, à dormir debout ?

Alors oui, la convivialité tue en ces temps de Covid, mais elle est aussi l’essence de la vie pour ceux qui ne pourront jamais la réduire au travail-famille-consommation que veut nous vendre l’ultralibéralisme mondialisé.

Nous ne sommes pas des crétins ou des jusqu’au-boutistes suicidaires. Laissez-nous choisir notre vie. Ne nous obligez pas à la vivre seuls. Ne nous obligez pas à vivre défaits. Ne nous obligez pas à vivre vieux en nous faisant chier, et encore après qu’on n’en ait plus envie, après qu’on n’en est plus en vie, sans voir nos enfants et petits enfants. Ne sacrifiez pas l’avenir de notre jeunesse pour faire gagner quelques mois ou quelques années vidés de toute substance. Survivre n’est pas vivre.

Les artistes, les techniciens du spectacle ne veulent pas d’une deuxième année blanche, d’une deuxième année morte. Ils veulent faire ce qu’ils aiment, ce qu’ils ont choisi, ce qui les anime, ce pourquoi ils travaillent depuis des années. Partager leur art, leur vision du monde, entendre la foule, les éclats de rire, sentir l’émotion étreindre le public, vibrer avec lui pour, en apothéose, se perdre dans les tonnerres d’applaudissements.

Encore une fois : vivre ! Laissez-nous la convivialité.

Les organisateurs de festivals, les directeurs de lieux, de salles, de cinémas peuvent aussi être des gens responsables. Arrêtez de nous infantiliser en permanence, de nous croire incapables de mettre en place des protocoles sanitaires juste parce que nous pensons que la vie vaut d’être vécue AVEC les autres.

Nous pouvons mettre en place des restaurations et bars sur le principe du click & collect avec des cheminements, des gobelets personnels, des tables bien séparées, du gel et des masques à disposition, des consignes répétées régulièrement, gérer des circulations et des règles de proximité…

Nous nous sommes habitués (trop facilement d’ailleurs…) à porter le masque en permanence, à ne plus nous embrasser ou nous étreindre, à discuter en cercles aérés, à respecter les consignes sanitaires… Par ailleurs nous nous croisons quotidiennement dans les transports en commun, dans les supermarchés où nous touchons les produits ne serait-ce que pour voir les dates de péremption, nous échangeons encore avec nos voisins, certains vont à l’église.

Des concerts tests encourageants ont été montés, la rave-partie de décembre avec ses milliers de participants n’a pas généré de cluster. Alors pourquoi ne pas permettre à ceux qui le veulent d’aller, debout, à des festivals vivants ! Changez de logiciel et faites le pari que plus la vie nous sera belle, plus nous aurons envie de la protéger.

Cette année les Petites Rêveries font, elles, le pari de tenir leur festival à Brinon/Beuvron du 3 au 6 juin, avec bien sur des adaptations : des Petites Formes essentiellement en extérieur, des spectacles du soir en mode « rue », des masques et du gel, un bar et une restauration adaptés, des consignes répétées, avec un public convivial, intelligent et responsable.

Parce qu’il faut rêver et parce qu’une deuxième année consécutive sans festival, sans culture, sans échange, n’est pas concevable. Pour les artistes, les techniciens, le public, notre territoire. Pour le vivre ensemble. Et ce festival de spectacle vivant, ceux qui l’ont déjà pratiqué le savent, ne peut se concevoir sans convivialité.

DEBOUT LES FESTIVALS !

© Politis

Publié dans
Tribunes

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