« Vers la bataille » : La guerre des images

Vers la bataille raconte le périple d’un photographe au temps de l’expédition de Napoléon III au Mexique. Un premier long-métrage très réussi.

Christophe Kantcheff  • 25 mai 2021 abonné·es
« Vers la bataille » : La guerre des images
© Noodles Production

Est-ce parce que l’entreprise fut piteuse que l’expédition française au Mexique, dans les années 1860, a été très peu racontée au cinéma du point de vue français ? Non seulement sur le plan militaire – Napoléon III dut retirer ses troupes, qui avaient grandement souffert, en 1867. Mais aussi en raison de ses véritables objectifs politiques : installer au Mexique un empire catholique allié à la France, qui aurait valu à celle-ci toutes sortes de bénéfices.

Aurélien Vernhes-Lermusiaux en fait le cadre de son intrigue. Vers la bataille n’est pas un film de guerre, mais un film en temps de guerre, dans un pays lointain qu’une puissance étrangère européenne agresse pour le conquérir. Il y place son protagoniste, Louis (Malik Zidi), un photographe travaillant pour les journaux (L’Illustration), dont l’intention est de faire des clichés des champs de bataille. Sauf que Louis ne cesse de perdre la piste des affrontements et qu’il n’est en rien préparé à la tâche qu’il s’est imposée.

Un beau projet sur le papier, mais risqué – film d’aventure en costumes –, d’autant qu’il s’agit d’un premier long-métrage. Qu’à cela ne tienne, Aurélien Vernhes-Lermusiaux a manifestement une belle ambition artistique, de l’endurance (de l’idée à la réalisation, le parcours n’a sûrement pas manqué d’embûches) et du talent. Résultat : Vers la bataille est une réussite.

Le cinéaste noue western et film épique du type Aguirre, la colère de Dieu (de Werner Herzog), et on y croit ! Les paysages filmés en plans larges sont grandioses, les mésaventures que subit le photo-graphe nombreuses, et celui-ci rencontre sur son chemin un paysan mexicain, Pinto (Leynar Gomez), auquel, classiquement, il s’affronte dans un premier temps pour ensuite s’en faire un allié et même un ami.

Mais Vers la bataille, loin de s’en tenir aux qualités plastiques et aux caractéristiques du film de genre, développe une riche complexité. À travers le personnage de Louis, notamment, dont les motivations personnelles qui l’ont poussé vers le Mexique en guerre sont longtemps tenues mystérieuses. Disons seulement ici qu’il est hanté par un fantôme qui, la nuit, se manifeste sous la forme de deux yeux rouges (comme chez Apichatpong -Weerasethakul) l’observant.

Malik Zidi est parfait dans le rôle de cet homme égaré, au propre comme au figuré, atteint symboliquement d’une forte conjonctivite. Un soldat français rencontré fortuitement lui fait remarquer qu’il avait toutes les raisons de rester en France dans son foyer, que quiconque envierait. Louis a en effet une femme qu’il aime, à qui il écrit fréquemment, et un appartement parisien confortable. C’est un urbain, un bourgeois – certains détails en attestent, par exemple quand il passe son doigt sur un goulot de bouteille avant de boire – qui, d’ordinaire, photographie des événements ou des lieux spectaculaires : crues, incendies et nouvelles industries. Ainsi, dans une scène introductive, il s’affaire dans une fonderie quand une explosion entraîne la mort d’un ouvrier. Louis le prend en photo agonisant. L’analogie avec un soldat mourant est évidente. On ne sait si elle a traversé l’esprit de Louis. Le spectateur, lui, ne peut la manquer – à l’instigation du réalisateur, qui, sans être plus explicite, indique là un autre front : celui où les ouvriers meurent dans les multiples accidents du travail en temps de capitalisme en expansion.

C’est une autre part de ce film : il aborde en effet des questions d’ordre historique et/ou politique tout en les insérant dans le récit. Le colonialisme, bien sûr : les soldats français traitent Pinto comme un sous-homme – et on peut penser que les colons espagnols, récemment partis, se sont conduits de la même manière. En outre, Louis se trouve confronté à un autre photographe qui, sans vergogne et contre un bon salaire, procède à des mises en scène avec l’armée à la gloire de celle-ci. Il fabrique des faux, ce qui révulse Louis, et nous renvoie à l’un de nos problèmes très contemporains : les fake news. Vers la bataille est décidément un film passionnant.

Vers la bataille, Aurélien Vernhes-Lermusiaux, 1 h 30.

Cinéma
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