« La Capacité de survie », de Kim Sung-hee : Sociologie du kimchi

Kim Sung-hee étudie avec ténacité et délicatesse le quotidien ultralibéral de la Corée du Sud.

Marion Dumand  • 22 septembre 2021 abonné·es
« La Capacité de survie », de Kim Sung-hee : Sociologie du kimchi
© Kim Sung-hee

La bande dessinée de Kim Sung-hee est une fiction sociologique très fine qui étudie notre capacité de survie en pays ultralibéral – ici la Corée du Sud. Tout commence autour d’un vieux kimchi (chou fermenté) oublié. Prof vacataire et quadragénaire, l’héroïne rentre chez elle et, à force de « snif snif snif » investigateurs, retrouve le kimchi. Accroupie face au coupable, elle en tire ce premier constat : « À force de la sentir, on s’habitue même à la puanteur. Parce que l’odorat se paralyse de lui-même. »

Après une journée de travail précaire et de soumission, Yeong-jin prépare une recette pour sauver le chou. Le dessin suit ses gestes ; le texte, sa voix intérieure. L’ensemble nous dit ce qu’est la capacité de survie : « Je cuisine ce plat depuis toujours. Je tiens chaque jour grâce à toutes ces choses que je n’ai pas apprises à l’école. On pourrait appeler ça “la capacité de survie” ? La société a une dette envers moi. Car ce n’est pas quelque chose qu’on apprend à l’école mais c’est ce qui aide la société à tenir debout. »

En observant les proches de Yeong-jin, la toile du récit se tisse et le tableau se complète, mêlant toujours délicatement scènes de la vie quotidienne et élaboration d’une pensée critique. Ses vieux parents sont contraints de travailler durement ou renvoyés parce que trop vieux. Sa jeune sœur se démène avec ses deux enfants en bas âge. Son amoureux milite pour une association qui aide les travailleurs immigrés. Personne ne joint les deux bouts. Tous se débattent. Et cette réalité sociale conditionne tout. Des gestes les plus anodins – prendre un café au distributeur – aux plus démonstratifs – participer à une manifestation. Des relations les plus intimes (qui aide qui dans la cellule familiale, comment on s’aime) aux liens plus distants et hiérarchisés (le médecin qui opère Yeong-jin de l’utérus, le proviseur adjoint qui la tance).

Kim Sung-hee fait œuvre tenace et délicate. Comme sa mise en scène. Les planches ont toujours trois bandes et très majoritairement six cases. Mais les contours ont la grâce d’une fine ligne noire, tracée à la main. Les dessins sont aussi précis et libres, rehaussés d’aplats kaki. Ils alternent distance avec les personnages et les lieux, pour mieux prendre du recul, et précision d’un gros plan ou effacement de l’arrière-plan, afin de mieux saisir à la volée un geste, un détail. Comme le pied d’un personnage qui, justement, perd pied, et la main de celui qui le rattrape. La capacité de survie, c’est cela aussi.

La Capacité de survie, Kim Sung-hee, traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Mathilde Colo, Çà et là, 200 pages, 20 euros.

© Politis

Littérature
Temps de lecture : 3 minutes
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