Eels : Une célébration du riff

Treizième album d’Eels et une inspiration intacte qui comblera les fans du groupe – ou de rock.

Jacques Vincent  • 23 mars 2022 abonné·es
Eels : Une célébration du riff
© Gus Black

C’est une vieille habitude, pour ne pas dire un rituel, avec chaque nouveau disque, de commencer par lire attentivement les notes de pochette. Aucune raison d’y déroger avec ce nouvel album d’Eels, ce qui nous fait tomber d’emblée sur cette réjouissante phrase introductive : « Félicitations pour avoir acheté ou volé cette copie physique du nouvel album d’Eels. Voici plusieurs choses que vous ne pourriez pas apprendre en l’écoutant sur une plate-forme en ligne. »

Par exemple qu’il a été composé et produit en grande partie par E, soit Mark Oliver Everett, au centre du groupe depuis ses débuts en 1995, et John Parish, complice de longue date de P.J. Harvey et déjà celui d’E en 2001 sur l’album Souljacker. Il n’a pas son pareil pour jouer à l’alchimiste avec un son sale et minimal. Le sorcier qui expliquerait le titre de l’album, Extreme Witchcraft (Extrême Sorcellerie) ?

Peut-être, mais l’explication qu’E donne dans une interview au magazine Spin est bien plus savoureuse : « Il y a quelques années, je suis tombé sur cette histoire à propos de Beyoncé et de son ex-batteur, qui l’accusait d’extrême sorcellerie. Beyoncé, vraiment ? Une ancienne employée de Led Zeppelin, ça pourrait paraître crédible, mais Beyoncé ? J’ai aimé ces deux mots ensemble et trouvé le moyen de les utiliser. »

Après cette phrase, et au risque pour Eels de passer pour définitivement passéiste le disque à peine lancé, voici que surgit « Amateur Hour », avec une guitare qui taille au hachoir un son saturé comme si on était chez Captain Beefheart ou Jon Spencer, et cette célèbre voix éraillée et un peu étranglée. On a déjà une bonne partie des ingrédients qui font tout le sel de ce disque. Guitare et voix dans les rôles principaux, soutenues par une rythmique qui appuie exactement là où il faut sans en rajouter. On entendra aussi, ici ou là, mellotron, orgue ou piano électrique, voire un célesta, la palette instrumentale habituelle utilisée par E à petites touches, c’est le cas de le dire, pour varier les couleurs de compositions marquées par une constante richesse mélodique.

Extreme Witchcraft retrouve toute la simplicité originelle puisée aux sources du blues, du rock et du garage. Le fait que, suivant cette route, Eels puisse, avec l’excellent « Grandfather Clock Strikes Twelve », croiser celle de Prince relève du mystère. Sauf si une autre écoute du disque suggère qu’il s’agit aussi d’une célébration du riff, cette poignée de notes ramassée qui se répète et forge l’identité de certaines compositions, ici une relecture de celui du « Kiss » de feu le génie de Minneapolis.

Voici donc un formidable disque de rock, une rareté de nos jours. Ce qui nous va droit à l’estomac, aux tripes et à tout le corps. Un disque qui donne envie de claquer des doigts, taper des mains, danser, se remettre à la guitare, bref, réveille quelque chose qui, sans être enfoui, n’est pas convoqué tous les jours. Et révèle par là même un manque certain, comblé pour un instant.

Extreme Witchcraft, Eels, E Work Records/Pias.

Le concert prévu le 28 mars, salle Pleyel, à Paris, est reporté au 23 avril 2023.

Musique
Temps de lecture : 3 minutes