L’art malgré la guerre

L’Observatoire de la liberté de création a réalisé un site Internet de soutien aux artistes ukrainiens dont les œuvres risquent de disparaître.

Hugo Boursier  • 27 avril 2022 abonné·es
L’art malgré la guerre
Civilians in Bucha, de Nata Levitasova, jeune peintre de Kyiv.
© Nata Levitasova/ Observatoire de la Liberté de Création

Le 27 février, les conservateurs et amateurs d’art sont saisis d’effroi. Le musée d’Ivankiv, au nord de Kyiv, a été incendié par les troupes russes. D’après les images postées sur Twitter par la première vice-ministre des Affaires étrangères d’Ukraine, Emine Dzheppar, l’épaisse fumée noire qui jaillit du toit de l’établissement laisse craindre la disparition de vingt-cinq tableaux de Maria Primatchenko. Ces œuvres ont été dévorées par le monstre de la guerre, à l’image de cet animal boursouflé d’armes que l’artiste, connue mondialement pour son travail irriguant tout le XXe siècle, avait réalisé en 1978 (1).

Pour en rappeler toute la force, c’est ce tableau que l’Observatoire de la liberté de création a choisi de mettre en avant sur un site qu’il vient de créer. Conçu comme une plateforme de soutien aux artistes ukrainiens, « ce lieu de solidarité » rassemble le travail de peintres, de chorégraphes, de sculpteurs, de poètes, vivants ou disparus, comme la comédienne Oksana Chvets, tuée par un tir de roquette, le 17 mars à Kyiv. Que ce soit pour suivre leurs activités en exil, ou bien pour montrer au public ces créations détruites ou dont l’accès est désormais impossible, l’observatoire se veut un espace où l’art demeure.

Cette initiative est portée par une dizaine de personnes, issues en grande partie de cet organisme créé sous l’égide de la Ligue des droits de l’Homme en 2002 et qui regroupe quinze organisations du monde de la culture (associations, syndicats…). Elle s’efforce de maintenir un lien avec des artistes qui sont en danger en Ukraine, car nombreux sont ceux qui ont pris les armes pour défendre leur pays. Mais aussi de comprendre la manière dont la création s’impose ou se décompose quand la guerre sévit.

« Il n’y a aucune couleur sur terre pour évoquer cette tragédie. La vie en guerre a apporté des troubles immenses à mon monde. J’ai commencé à chercher des moyens de les partager avec les gens. Pour survivre à notre histoire de ces événements. Les images de la guerre ont commencé à éveiller mon imagination dans ces directions », écrit Danylo Movchan, auteur d’une icône où l’on voit deux corps qui tentent de marcher, enlacés dans leur douleur.

La peintre Olga Kvasha, elle, a choisi de mettre en avant sur le site des scènes qui n’existent plus, comme la douceur de la plage de galets de Marioupol, où plusieurs milliers de personnes sont mortes, selon les autorités régionales.

Pour Nata Levitasova, jeune artiste de la capitale, c’est la force même du pinceau qui a changé. « D’harmonieuses, soignées, semi-abstraites et lumineuses, mes peintures sont devenues expressives, contrastées, chaotiques et sombres », explique-t-elle. Au-dessus de son témoignage, les corps géométriques sont des aplats entassés et aspirés par le vide. C’est l’horreur de Boutcha.

Au-delà de la relation à la création qui est brutalement renversée, ce sont aussi les lieux de culture qui risquent de disparaître. Un rapport de l’Unesco publié le 1er avril confirme combien la guerre abîme l’art : 29 sites religieux, 16 bâtiments historiques et 4 musées et monuments ont été détruits ou endommagés depuis le 24 février. Plusieurs organisations essaient de sécuriser les œuvres sur place, comme l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit, qui finance l’achat ou le transport de matériel de protection en direction des musées, des bibliothèques et des lieux d’archives.

Pour enrichir le site, réalisé par les graphistes Malte Martin et Guillaume Lanneau, l’équipe s’active et mobilise le réseau de chacun. D’habitude occupé à lutter contre la censure des artistes en France et ailleurs, l’observatoire fonctionne, pour l’instant, par bouche à oreille pour entrer en lien avec les artistes. Chaque page est traduite en anglais et en ukrainien. Mais pas en russe. La douleur de certains artistes serait encore trop vive pour permettre cette cohabitation sur une même plateforme.

(1) Maudite soit cette guerre nucléaire !, 1978.

www.solidarite-art-ukraine.fr

© Politis

Civilians in Bucha, de Nata Levitasova, jeune peintre de Kyiv.
Crédit : Nata Levitasova/ Observatoire de la Liberté de Création

Culture
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