Jane Evelyn Atwood : un regard sur l’injustice

Présentée au château de Laréole, près de Toulouse, une grande exposition met en lumière la haute sensibilité de Jane Evelyn Atwood.

Jérôme Provençal  • 29 juin 2022 abonné·es
Jane Evelyn Atwood : un regard sur l’injustice
« Gens de Pigalle », photo extraite du reportage réalisé par Jane Evelyn Atwood en 1978 et 1979 aux côtés de personnes prostituées et trans de ce quartier parisien.
© Jane E. Atwood/Agence Vu

Trésor architectural de la Renaissance, tout en briques et pierres blanches, le château de Laréole – qui se situe à une quarantaine de kilomètres de Toulouse – compte parmi les joyaux architecturaux de l’Occitanie. Laissé à l’abandon, après avoir connu divers propriétaires privés au fil des siècles, il a été racheté en 1984 par le conseil départemental de la Haute-Garonne. Devenu un fief touristique et culturel, après de longs travaux de restauration, il accueille maintenant des événements artistiques pendant toute la saison estivale, en particulier une grande exposition, accessible gratuitement. Organisée avec le Festival photo MAP Toulouse, l’expo de l’été 2022 est consacrée à Jane Evelyn Atwood.

Originaire des États-Unis (elle est née à New York en 1947), Atwood vit en France depuis 1971. Ayant acquis son premier appareil photo en 1975, elle enclenche son activité avec une série – « Rue des Lombards » – réalisée durant un an dans l’intimité de prostituées parisiennes, dont elle avait gagné la confiance. Sans complaisance ni esthétique ni morale, parfois crue mais jamais obscène, cette série en noir et blanc restitue une réalité ténébreuse par le prisme d’une curiosité généreuse. La femme derrière l’œilleton a le sens du tact et du contact, elle ne cherche pas à voler brusquement des bouts de vie : elle s’approche doucement et elle donne autant qu’elle prend.

Peu après, entre 1978 et 1979, Jane Evelyn Atwood s’est immergée longuement dans Pigalle, où elle a côtoyé d’autres prostituées, des personnes trans, des sans-logis et des habitant·es du quartier. Également en noir et blanc, cette série irradie autant d’excentricité gaie que de mélancolie sourde. S’en détache le très beau et si troublant portrait d’Ingrid, femme trans à la longue chevelure, en position alanguie, dont le corps hybride se dévoile ici entièrement.

Par la suite, dans la continuité de ces deux séries parisiennes, la photographe franco-américaine effectue des enquêtes en privilégiant le temps long et en se focalisant avant tout sur les personnes qui, volontairement ou non, se trouvent en marge ou exclues de la société. Elle a, par exemple, mené un travail de fond durant toutes les années 1990 dans plusieurs prisons d’Europe et des États-Unis, pour témoigner de la situation des femmes incarcérées – des criminelles de droit commun ayant pour la plupart subi des violences physiques, parfois aussi des abus sexuels, avant d’être condamnées et mises derrière les barreaux.

Exsudant l’injustice, la détresse et la solitude, cette série en noir et blanc témoigne de la glaçante brutalité de la prison avec une véracité rare.

Riche de plus de deux cents clichés, majoritairement en noir et blanc, qui couvrent la période 1976-2010, l’exposition présentée au château de Laréole invite à traverser l’œuvre, désormais largement reconnue, de Jane Evelyn Atwood au fil d’un parcours divisé en sept histoires. Aux trois séries déjà citées, qui font chacune l’objet d’une étape spécifique, s’ajoute une série consacrée à de jeunes aveugles. « C’est un sujet tout particulier pour moi, que je n’abandonnerai jamais complètement. Le fait de photographier des gens qui ne peuvent pas voir m’oblige à voir autrement », commente Jane Evelyn Atwood.

Un peu lisse, la série (en couleurs) dédiée à Haïti paraît plus ordinaire, malgré un sens indéniable du cadrage et du détail. Présentée dans une petite pièce un peu à part, semblable à une alcôve, l’autre série en couleurs s’imprime en revanche durablement dans la mémoire. Elle a pour sujet Jean-Louis, un homme atteint du sida, auprès duquel la photographe a passé plusieurs semaines au cours de l’été 1987. Entré à l’hôpital en août, il est mort en novembre.

« C’était important de donner un visage aux personnes atteintes de la maladie », souligne Jane Evelyn Atwood, dont la vision s’exprime aussi bien par les mots que par les images.

Jane Evelyn Atwood. Sept histoires (1976-2010), Château de Laréole (31), jusqu’au 25 septembre.
Culture
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