Le quinquennat de tous les dangers

C’est bien d’une société ubérisée dont rêve Emmanuel Macron. Avec un mot d’ordre enjôleur : le « plein-emploi ». Tout le monde au boulot jusqu’à 65 ans et, surtout, quoi qu’il nous en coûte. Une société de précarité nous est promise.

Denis Sieffert  • 20 juillet 2022 abonné·es
Le quinquennat de tous les dangers
© Bertrand GUAY / AFP

Puisque nous voilà dans le dernier numéro de juillet, à la veille d’une courte pause, hasardons-nous à quelques prévisions (1). De quoi seront faits les mois et les années à venir ? À entendre Emmanuel Macron, le 14 juillet dans les jardins de l’Élysée, dérouler son programme comme si de rien n’était, on avait peine à croire que cet homme venait d’essuyer une défaite cinglante. Car voilà bien l’événement majeur de l’année écoulée. Pour la première fois depuis les débuts de la Ve République, la belle mécanique gaullienne qui transformait le Parlement en théâtre d’ombres s’est spectaculairement enrayée. Et deux forces montantes ont pris fermement position pour contester, chacune à leur manière, l’hégémonie du pouvoir présidentiel. Une gauche toute neuve, et une extrême droite qui avance masquée. Mais qu’importe ! Le Président nous est apparu tel qu’en lui-même, imperméable au doute, et sûr de son destin jusqu’à l’arrogance. Il veut, a-t-il avoué, laisser sa « trace » dans l’histoire. Margaret Thatcher aussi a laissé sa trace dans l’histoire… Évidemment, nous connaissions le programme. Mais, après la défaite, on l’aurait imaginé décliné avec plus de modestie. Ce fut tout le contraire. L’affaire Uber en dessine la trame. C’est bien d’une société ubérisée dont rêve Emmanuel Macron. Avec un mot d’ordre enjôleur : le « plein-emploi ». Tout le monde au boulot jusqu’à 65 ans et, surtout, quoi qu’il nous en coûte. Une société de précarité nous est promise, où le chômeur sera mis en demeure d’accepter ce que le marché aura décidé pour lui. C’est la réforme punitive du revenu de solidarité active (RSA), dont le versement est désormais conditionné. C’est le durcissement des règles de l’assurance-chômage. On connaît la morale de son histoire : le Français est un peu paresseux ou trop exigeant. Il faut lui botter le train.

On ne fera évidemment pas ici l’apologie du chômage, mais on ne peut que redouter une lutte qui opère par le bas, au mépris de la qualité de l’emploi et des aspirations des travailleurs. Faut-il redire que le chômage est, en dépit de tout, un statut social. Et le chômeur un être social. Le programme que nous promet Macron risque de le métamorphoser en fantôme, dépouillé de tous ses droits, et rayé de toutes les statistiques. Le mouvement est déjà bien amorcé. Macron veut pousser la logique à l’extrême. C’est le sens d’un engagement quasi philosophique au côté d’Uber. Pas question, dans ces conditions, d’augmentations de salaires. Dans les jardins de l’Élysée, Macron a soigneusement esquivé le sujet. Guerre aux salariés et aux chômeurs ! Et complaisance infinie pour les grands groupes dont les superprofits ne seront pas taxés. Total n’a-t-il pas déjà assez donné ? Voilà donc le tableau. Voilà le programme pour les cinq ans à venir. L’écart entre ce discours radical et les moyens réduits dont dispose désormais Macron a de quoi surprendre. Comment va-t-il opérer avec son groupe minoritaire ? La réponse tient dans une simple arithmétique. Dans l’esprit du Président, les 61 députés LR, plus quelques miettes de divers droite, feront la soudure. D’où cette arrogance tranquille affichée en lendemain de défaite. Et la droite aura du mal à résister puisque c’est, au fond, son programme qui va s’appliquer. On imagine bien qu’il y aura de temps en temps du tiraillement. Un peu de surenchère par-ci par-là, car, à LR, on a sa dignité. Mais Emmanuel Macron ira à droite autant qu’il le faut pour convaincre les grincheux. Appuyé sur ce renfort, il part à l’affrontement.

Ajoutons à cela que l’homme n’aura pas de souci de réélection. D’où ce ton bravache. Voilà pour la théorie. La réalité risque d’être moins docile. À l’Assemblée d’abord, avec l’opposition de la Nupes. Et allez savoir également si la droitisation extrême ne va pas engendrer un peu de fronde dans les rangs macronistes. Mais c’est surtout de la rue que l’hostilité peut surgir. Ou, de façon plus diffuse, en profondeur dans l’opinion. Le très modéré Laurent Berger parle de risque de « chaos social ». C’est probable en effet. Selon quelle forme ? Nul ne sait. Le ressentiment général peut exploser. C’est le pari de Jean-Luc Mélenchon (voir Politis n° 1714). Mais ses effets peuvent aussi être différés. Et voilà l’autre enjeu d’un quinquennat qui est décidément celui de tous les dangers. Qui va tirer les marrons du feu ? La nouveauté de ces derniers mois, c’est évidemment la renaissance d’une gauche à la fois plurielle et unie, capable d’offrir un contre-modèle absolu au néolibéralisme macronien. Mais ne sous-estimons pas l’autre hypothèse. Pour la première fois depuis 1940, l’extrême droite peut prétendre au pouvoir. Par le rejet qu’il inspire et les souffrances sociales qu’il provoque, le programme d’Emmanuel Macron peut y conduire tout droit. Après cela, tous les discours de Pithiviers contre l’antisémitisme, pour irréprochables qu’ils soient dans la forme, auront toujours quelque chose de faux. Certains médias se repaissent aujourd’hui de la guerre des deux stratégies. Une gauche plus radicale qui met en évidence ce qu’il faut cacher, à savoir que le « paquet pouvoir d’achat » est, en regard de l’inflation, un paquet perte du pouvoir d’achat, et un Rassemblement national raminagrobis, tout prêt au compromis avec le gouvernement. L’enjeu du prochain quinquennat est donc double : résister à un projet de souffrance sociale, et épargner à notre pays la plus périlleuse et la plus funeste des aventures.

(1) Retour prévu le 25 août. En attendant, bel été à toutes et à tous.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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