« Put Your Soul on Your Arm and Walk », de Sepideh Farsi (Acid)

Fatma Hassouna illumine de son aura le film de l’Iranienne Sepideh Farsi. Elle a été tuée par un missile israélien le 16 avril dernier.

Christophe Kantcheff  • 15 mai 2025
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« Put Your Soul on Your Arm and Walk », de Sepideh Farsi (Acid)
La vie de Fatma Hassouna s’est arrêtée le 16 avril, suite à un bombardement israélien. Mais pas sa parole ni son aura, magnifiant ce film, qui porte l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat.
© DR

Put Your Soul on Your Arm and Walk / Sepideh Farsi / 1 h 50. Date de sortie : 24 septembre

Put your Soul on your Arm and Walk est devenu plus qu’un film depuis que Fatma Hassouna, 25 ans, photographe – avec laquelle la réalisatrice Sepideh Farsi est en conversation constante par visio pendant toute la durée de ce documentaire hors du commun – a été tuée chez elle à Gaza, avec la presque totalité de sa famille, par une bombe israélienne, le 16 avril. L’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid) venait d’annoncer sa programmation cannoise, dont le film fait partie. Même si elle est la plus modeste des sections parallèles, la répercussion de cette nouvelle tragique s’en est vue décuplée, et le film s’est immédiatement transformé en emblème du génocide en cours.

Pour toutes les parties prenantes, la présentation à Cannes a acquis une dimension d’une tout autre nature que celle d’une projection habituelle. Que ce soit pour la réalisatrice et l’équipe de l’Acid, extrêmement impliquées et tentant de faire face – par exemple, les deux séances du soir, les plus fréquentées, ont été délocalisées dans une salle plus grande et plus facile à sécuriser que celles, habituelles, du cinéma les Arcades – mais aussi pour la direction du festival.

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Celle-ci, après la mort de la jeune photographe, avait publié, sans se précipiter, un communiqué dont il n’a échappé à personne qu’il éludait le fait que le missile assassin avait été lancé par les Israéliens. Depuis, lors de la cérémonie d’ouverture, la présidente du jury, Juliette Binoche, a rendu hommage à Fatma Hassouna en disant un de ses poèmes. Mais, toujours, en cultivant l’abstraction sur les circonstances de sa mort. En outre, une question au jury sur Gaza lors de la traditionnelle conférence de presse précédant l’ouverture du festival a plongé celui-ci dans un silence gêné, la jurée Leila Slimani, improvisant alors une réponse totalement hors sujet.

De la part de la direction du festival comme du jury, cette frilosité, cette crainte de la « mauvaise polémique », cette peur qui empêche d’énoncer clairement des faits avérés concernant la guerre à outrance menée par le gouvernement israélien, est d’autant plus absurde et dommageable qu’elle est à contretemps de ce qui se produit dans le débat public depuis quelques semaines. Notamment après la tribune signée par des centaines de professionnels du cinéma employant le terme « génocide » à propos de ce qui se déroule à Gaza, le texte de Delphine Horvilleur dénonçant la « faillite morale » d’Israël ou encore la tribune rassemblant des intellectuels et des artistes, dont Eva Illouz, Alain Finkielkraut ou Michel Hazanavicius, se disant « révoltés par le sort fait aux Palestiniens ».

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La survie au quotidien

Put Your Soul on Your Arm and Walk est devenu plus qu’un film, mais n’a pas disparu en tant qu’œuvre. À l’origine : la sensibilité d’exilée de Sepideh Farsi, iranienne réfugiée en France depuis l’âge de 18 ans pour raison politique. Elle souhaite se rendre à Rafah alors que Gaza est sous les bombes mais reste coincée au Caire, où on lui parle d’une jeune Gazaouie photographe. Elle se met en relation avec elle au printemps 2024. Les échanges deviennent fréquents, un lien d’amitié s’instaure. Fatma Hassouna est la plupart du temps plein cadre : solaire, volontaire, curieuse, le sourire ne quittant pas (ou presque) son visage.

Ils peuvent nous tuer, mais ils ne peuvent pas nous vaincre. Parce que nous n’avons plus rien à perdre.

F. Hassouna

Fatma Hassouna, que ses intimes appellent « Fatem », raconte la survie au quotidien, montre avec son téléphone les bâtiments autour de chez elle, tous détruits, explique que 13 de ses proches sont morts depuis le début de la guerre. Avant, quelques mois plus tard, d’annoncer, meurtrie, que sa meilleure amie de 31 ans vient d’être tuée, ou parle de la famine qui frappe l’enclave (« pas de fruits, pas de légumes, pas de riz, j’ai perdu du poids »). Le fracas des bombes, le bruit entêtant des drones secouent la conversation des deux femmes. « Ils peuvent nous tuer, mais ils ne peuvent pas nous vaincre. Parce que nous n’avons plus rien à perdre », dit Fatma Hassouna.

Fière et talentueuse

Elle a la fierté et le courage inné de celles qui ne veulent pas montrer leur désarroi. Elle est aussi talentueuse. Sepideh Farsi a parsemé le film de ses photographies, qui, documentant le massacre, témoignent d’un grand sens du cadre (voir ici son compte Instagram). Elles s’attardent malgré tout sur la vie qui persiste, les enfants en train de jouer, entourés de ruines. À Cannes, la réalisatrice est parvenue à trouver des lieux où les exposer, notamment au pavillon palestinien installé dans le Village international et au Café des cinéastes de l’Acid.

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Le frère de « Fatem » apparaît derrière elle, curieux d’apercevoir cette étrangère, amie de sa sœur, habitant au loin ; son père aussi, furtivement, qui demande : « Quand la guerre va-t-elle s’arrêter ? » – tous deux sont morts comme elle. La jeune femme rêve de sortir de Gaza, de voyager comme le fait Sepideh Farsi qui, de par son métier, l’appelle d’une capitale européenne puis du Canada, puis d’ailleurs encore.

« Tu es avec moi »

Aurait-elle pu se rendre à Cannes pour la présentation du film ? Pas sûr. Elle aurait quoi qu’il en soit illuminé le festival de sa présence, à tout le moins par visio, car il ne fait aucun doute que Sepideh Farsi et l’Acid l’auraient appelée. Il aurait fallu multiplier les tentatives de connexion, comme dans le film. La cinéaste a en effet gardé au montage les accidents d’images, les interruptions soudaines, les noirs abrupts. Inlassablement, on la voit relancer l’appel. Les Gazaouis sont en effet difficiles à joindre, prisonniers qu’ils sont chez eux. Mais aucun obstacle ne peut empêcher de les libérer de leur isolement.

« Je suis impuissante, je ne peux pas t’aider », dit Sepideh Farsi. « Tu es avec moi, c’est essentiel », lui répond Fatma Hassouna.

Il est question à un moment d’un espoir de trêve. Fatma Hassouna la désire ardemment. Pour respirer un peu. Elle ne l’aura pas connue. Sa vie s’est arrêtée avant. Pas sa parole ni son aura magnifiant ce film, ce cri à la vie qui porte l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat.

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Cinéma
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