Recensement et vie privée

Christine Tréguier  • 17 février 2011 abonné·es

L’Insee lance actuellement le recensement 2011 de la population. Et, comme chaque année, les interrogations sur son caractère éventuellement intrusif et sur l’obligation de s’y soumettre reviennent sur le tapis. D’autant plus que, cette année, les deux questionnaires du recensement sont accompagnés d’une enquête sur la famille et les logements, proposée à 1 546 communes prises « au hasard » dans les 22 régions. Elle est destinée à fournir des données détaillées sur la fécondité, l’évolution des structures familiales, les comportements de multirésidence, etc.

Les questions sont pour le moins indiscrètes : « Depuis combien de temps vivez-vous (dans votre logement) sur l’ensemble de l’année ? » , « Logez-vous également de façon habituelle ailleurs ? » , « Qui vit dans cet autre logement ? » , « À quelle date vous êtes-vous mis en couple ? » , « Pourquoi vous êtes-vous séparés ? » Questions aussi sur les enfants – « Êtes-vous sa mère ? » , « Votre conjoint ou ami est-il le père ? » – ou sur les parents – lieu de naissance, étaient-ils « français à la naissance » , sont-ils vivants et où vivent-ils. Elles ont fait sursauter le maire de Deauville, Philippe Augier (NC), qui les a qualifiées de « totalement intrusives du point de vue de la vie privée » . L’enquête étant facultative, contrairement au recensement, Philippe Augier a refusé que les agents recenseurs de sa commune la distribuent. Dans d’autres communes, ce sont les gens qui ont refusé de répondre. « Je trouve très bien , a-t-il déclaré à l’AFP, que l’Insee se serve de ses contacts avec les gens pour faire des enquêtes sociales mais, dans ce cas, il faut des enquêteurs professionnels, avec une formation adaptée. »

À bien y regarder, sa remarque vaut aussi pour le recensement. Depuis 2002, cette compétence est partagée entre l’État et les communes, lesquelles reçoivent une dotation pour former (deux jours) et rémunérer des agents communaux.
« Les réponses sont confidentielles. Elles sont transmises à l’Insee, seul habilité à exploiter les questionnaires. Toutes les personnes ayant accès aux questionnaires, et notamment les agents recenseurs, sont tenues au secret professionnel » , explique l’Insee sur son site. Certes, mais un employé municipal n’est pas un agent assermenté, et dans les petites communes les « secrets » ont vite fait de faire le tour. D’autant que, comme le suggère l’Insee, les questionnaires remplis peuvent être « confiés à une tierce personne (gardien, voisin…) qui les restituera à l’agent recenseur lors de son prochain passage » . Ils transitent également par la mairie, qui pourrait être tentée, pour les besoins de la lutte contre ceci ou cela, d’y glaner quelques informations. La Cnil vient, pas plus tard qu’en janvier, d’épingler et de sanctionner un maire, pris la main dans les questionnaires photocopiés.

La confidentialité de ces informations très personnelles est donc toute relative, et les méthodes de recensement bien archaïques. Pourquoi ne pas faire comme le fisc et utiliser Internet ? « Le projet est en cours, mais c’est très coûteux et très complexe, répond l’Insee, il faut pouvoir gérer un trafic de 9 millions de personnes, des transmissions fortement sécurisées, et un retour vers les agents recenseurs. » Le premier recensement par Internet débutera, si tout va bien, en février 2013.

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