Contrôle des chômeurs : le ministère revoit sa copie

Christine Tréguier  • 28 mai 2015
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La semaine dernière, on apprenait qu’un amendement au projet de loi sur le dialogue social présenté par le gouvernement allait permettre à certains agents de Pôle emploi de mieux pister les chômeurs suspectés de fraudes en accédant à une ribambelle de données personnelles et en particulier à leurs comptes bancaires. Il introduit un article additionnel au Code du travail instituant un « droit de communication » ainsi défini :
« Le droit de communication permet d’obtenir, sans que s’y oppose le secret professionnel, les documents et informations nécessaires aux agents chargés de la prévention des fraudes agréés et assermentés mentionnés à l’article L. 5312‑13‑1 pour contrôler la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution et du paiement des allocations, prestations et aides… »

Ce principe du « droit de communication » à la demande de certaines administrations est l’un des outils mis en oeuvre par le gouvernement Sarkozy et consacré par la Loppsi II en 2011. Cette loi, rappelle le gouvernement dans l’argumentaire de son amendement « a prévu l’agrément et l’assermentation des agents chargés de la prévention des fraudes de Pôle emploi. Elle a également permis aux agents de l’État et des organismes de protection sociale, y compris Pôle emploi, d’échanger tous renseignements ou tous documents utiles à l’accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes en matière sociale et de recouvrement des contributions et prestations versées indument. » Ces échanges de fichiers ne vous rappelle pas quelque chose ? Safari – pour Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus – projet concocté en 1973 par le Ministère de l’intérieur, qui fit scandale et suscita la mise en oeuvre de la loi Informatique et Libertés et la création de la CNIL. A la différence près que Safari prévoyait, pour réaliser ces échanges inter-administrations, d’utiliser un identifiant unique pour chacun, le numéro INSEE.

Aujourd’hui, ce qui a été mis en place est plutôt de l’ordre du fichage « à la carte », en cas de suspicion de fraude. Non seulement le fisc, les organismes de protection sociale ou encore les douanes échangent gaillardement leurs données, mais ils sont également autorisés à requérir les données détenues par des tiers, comme les établissements bancaires, les fournisseurs d’énergie ou les opérateurs de téléphonie et d’internet. Mais comme l’expose l’argumentaire de l’amendement, les agents de Pôle emploi ne bénéficient pas encore de ce droit de communication auprès de tiers. Et le gouvernement entend donc pallier ce manque.

La mesure est pour le moins invasive et non respectueuse de la vie privée des chômeurs.
En ce qui concerne l’accès aux données de communication, Next InPact fait judicieusement remarquer qu’en avril 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a invalidé la directive sur les données personnelles qui prévoit la rétention et l’accès à ces dernières. La CJUE a estimé qu’il y avait là « une ingérence d’une vaste ampleur et d’une gravité particulière dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel sans que cette ingérence soit limitée au strict nécessaire », et que le texte « ne prévoit aucun critère objectif permettant de délimiter l’accès des autorités nationales compétentes », ni « aucun critère objectif permettant de limiter le nombre de personnes disposant de l’autorisation d’accès et d’utilisation ultérieure des données ». Plus récemment, le Conseil d’état, dans son rapport annuel sur le numérique et les droits fondamentaux, a rappelé l’arrêt de la CJUE et recommandé de restreindre l’accès des services de police aux besoins des enquêtes pour des crimes et délits graves et de réexaminer les textes autorisant l’accès des administrations ne relevant pas de la sécurité intérieure.

Quelques jours et articles de presse plus tard, le ministère du travail a fait savoir que l’amendement est retiré. Un fonctionnaire de ce ministère a indiqué à l’AFP que « le ministre s’est rendu compte que ça n’avait pas été suffisamment concerté » et qu’il ne souhaite pas que cet amendement soit « interprété comme une volonté de stigmatiser les chômeurs ». Les chômeurs peuvent respirer, mais pour combien de temps ?

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