Quand le privé contrôle la Cour des comptes européenne

Un billet de blog de Jean-Luc Mélenchon s’interroge sur le contrôle de gestion de la Cour des comptes européenne, assuré par un cabinet privé. Une information vérifiable qui n’a pas fait grand bruit. Pourtant, il s’agit de PricewaterhouseCoopers, qui s’est distingué dans l’affaire LuxLeaks.

Thierry Brun  • 4 mai 2015
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On peut reprocher à Jean-Luc Mélenchon de s’attaquer violemment au fonctionnement du Parlement européen et de la Commission européenne, parfois sans discernement. « L’Europe des nazes » , les nomme-t-il dans un sous-titre de son billet de blog daté du 30 avril.

On peut aussi lui accorder le mérite de décrire des séances ubuesques du Parlement européen et de relater avec précision le contenu de certains des textes soumis au vote. « Dans la masse des textes de ce jour-là (le 28 avril), des piles de “décharges” données pour la gestion de toutes sortes de directions, sous-directions et agences de toutes sorte » , relève le député européen du groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE), dont le récit porte sur l’exécution du budget général de l’Union européenne.

Le député s’emporte : « On donne quitus à tout et n’importe quoi. Ainsi quand arrive le plus incroyable : le rapport de Ryszard Czarnecki donnant quitus à la cour de comptes sur sa propre gestion à elle ! Accrochez-vous, c’est savoureux. En effet la certification de ces comptes est confiée à un cabinet privé de la City, étroitement lié au monde de la finance et à ses intérêts. Ce cabinet est directement mis en cause dans l’affaire LuxLeaks en tant que principal artisan du système de dissimulation fiscale à grande échelle du Luxembourg » .

Une saillie mélenchonienne invérifiable ? Bien seul à avoir repéré qu’un cabinet privé a audité la Cour des comptes, sans le nommer, le député européen monte sur ses grands chevaux : « Comment peut-on confier la certification des comptes à une entreprise qui a été liée aux pratiques que tout le monde a condamné comme une fraude ? Et cela pour certifier les comptes de l’organe de contrôle des comptes européens » .

Le cabinet privé en question n’est autre que PricewaterhouseCoopers (PwC), cité page 5 du rapport de Ryszard Czarnecki, qui concerne « la décharge sur l’exécution du budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2013, section V – Cour des comptes » (voir ci-dessous), au nom de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen.

Le rapporteur indique que les comptes annuels de la Cour des comptes européenne « sont contrôlés par un auditeur indépendant – PricewaterhouseCoopers SARL – afin que les principes de transparence et de responsabilité qu’elle applique aux entités qu’elle contrôle lui soient également appliqués » .

Irréprochable PwC ? Invoquer des « principes de transparence et de responsabilité » au nom de ce cabinet privé ne manque pas de sel depuis le scandale du LuxLeaks . L’affaire, révélée à la fin 2014, porte sur le contenu de centaines d’accords fiscaux préalables très avantageux conclu entre 2008 et 2010 avec le fisc luxembourgeois par des cabinets d’audit, dont PwC, pour le compte de nombreux clients internationaux. Parmi ces clients figurent les sociétés multinationales Apple, Amazon, Heinz, Pepsi, Ikea et Deutsche Bank.

Cela n’a pas valu la moindre remarque du rapporteur, ni des députés de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, qui ont adopté le rapport à une large majorité. De même le Parlement européen, le 28 avril, a donné son « quitus » à un auditeur contestable.

Temps de lecture : 3 minutes
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