Affaire Tefal : une justice à deux vitesses

Une inspectrice du travail et un salarié lanceurs d’alerte sont la cible de l’entreprise Tefal et du procureur lors de l’audience du 16 octobre du tribunal correctionnel d’Annecy.

Thierry Brun  • 17 octobre 2015
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Illustration - Affaire Tefal : une justice à deux vitesses


A l’issue de l’audience du vendredi 16 octobre, devant le tribunal correctionnel d’Annecy, l’inspectrice du travail Laura Pfeiffer, qui avait été chargée de contrôler l’entreprise d’articles culinaires Tefal, et un informaticien de Tefal, aujourd’hui licencié, resteront sur le banc des accusés.

Le procureur d’Annecy Eric Maillaud n’a pas « cloué au pilori » Laura Pfeiffer mais a requis une amende de 5 000 euros et une inscription au casier judiciaire pour l’inspectrice du travail, et a par ailleurs réclamé une amende « symbolique » avec sursis à l’encontre de l’ex-informaticien de Tefal. « C’est une affaire absurde et des poursuites injustes » , s’est pour sa part exclamé Me Henri Leclerc, pour la défense de l’inspectrice du travail, alors que le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 4 décembre.

Le procureur d’Annecy, Eric Maillaud, a donc décidé de sanctionner l’inspectrice du travail de Haute-Savoie qui a comparu pour violation du secret professionnel et recel de courriels internes à la suite d’une plainte déposée par l’entreprise Tefal. Pour ce qui concerne l’ex-informaticien, il est reproché au salarié « lanceur d’alerte », comme le désignent les syndicats, d’avoir intercepté et divulgué des mails internes à l’entreprise montrant que la direction avait cherché à entraver le travail de l’inspectrice.

Laura Pfeiffer encourait une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende pour le premier chef d’accusation et de un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour le second. L’ex salarié de Tefal était, lui aussi, poursuivi pour les mêmes chefs d’inculpation.

Mettre au pas l’inspection du travail

La décision du Parquet de poursuivre l’inspectrice du travail, a mis le feu aux poudres, une intersyndicale du ministère du Travail (CGT, SUD Travail, SNU-Tefe, FO-TEFP, CNT) la qualifiant de scandaleuse. L’intersyndicale pointe dans ce procès une « atteinte à l’indépendance des inspecteurs du travail » .

L’intersyndicale relève aussi « la mise à mal du statut protecteur des lanceurs d’alerte et ce, malgré un renforcement du dispositif législatif en décembre 2013. Une fois de plus, le lanceur d’alerte se retrouve sur le banc des accusés tandis que Tefal et ses dirigeants, malgré les délits commis, sont sur le banc des parties civiles ! »

L’audience du 16 octobre a fait l’objet d’une mobilisation nationale devant le Palais de justice d’Annecy. Entre 800 et 1 000 personnes ont manifesté tout au long de la journée. Le 5 juin dernier, une manifestation avait rassemblé entre 350 et 500 personnes devant le Palais de justice. L’audience initialement prévue ce jour-là avait été finalement reportée au 16 octobre à la demande des parties.

Les pressions de Tefal

Révélée par l’Humanité , l’affaire a débuté en janvier 2013 par un contrôle dans l’entreprise située à Rumilly près d’Annecy. « A l’époque, l’entreprise Tefal est mécontente de l’action de l’inspectrice du travail, qui remet en cause la légalité de l’accord des 35 heures. Via le Medef local et le responsable hiérarchique de l’inspectrice du travail, elle tente de faire renoncer Laura Pfeiffer et de lui retirer le contrôle de cette entreprise. Contact est même pris avec les renseignements généraux pour surveiller son comportement » , indique un communiqué de l’Union syndicale Solidaires.

A l’époque, l’inspectrice obtient la communication de documents démontrant ces faits. Dans un des messages, une cadre de Tefal remarque ainsi que le directeur départemental du travail (DDT), Philippe Dumont, a « le pouvoir » de changer Laura Pfeiffer, l’inspectrice mise en cause, « de section administrative pour que Tefal ne soit plus dans son périmètre » . « Intéressant, non ? » , souligne-t-elle. S’ensuivent plusieurs échanges troublants entre Philippe Dumont et la direction de Tefal.

Saisi, le conseil national de l’inspection du travail (CNIT) a estimé en juillet 2014 que l’entreprise avait « porté atteinte » à l’indépendance de l’inspection « en tentant d’obtenir de l’administration (préfet) et du responsable hiérarchique le changement d’affectation de l’inspectrice » . « Ces pressions n’ont pas été suivies d’effet » , souligne cependant le CNIT.

Tefal sous protection ?

Par la suite, Laura Pfeiffer a établi un procès-verbal d’entrave à sa mission d’inspectrice, mettant notamment en cause sa hiérarchie, qui n’était pas présente pour la soutenir lors de l’audience du 16 octobre. Elle a aussi porté plainte pour harcèlement moral contre Philippe Dumont. Ces faits font l’objet de deux enquêtes ouvertes par le parquet d’Annecy et confiées à la section de recherches de la gendarmerie de Chambéry.

De leur côté, les organisations syndicales demandent l’abandon des poursuites contre Laura Pfeiffer et le salarié lanceur d’alerte, ainsi que la condamnation publique par Myriam El Khomri, ministre du Travail, des agissements de Tefal. « Quand on touche à l’inspection du travail, on touche aux droits des salariés » , a mis en garde Fanette Freydier, inspectrice du travail, syndicaliste de SUD-Travail. « On a le sentiment que la justice penche davantage d’un côté que de l’autre au détriment des salariés » , a-t-elle ajouté.

En juin, l’ancien secrétaire général de la CGT Bernard Thibault a promis de porter plainte auprès de l’Organisation internationale du Travail (OIT) si l’inspectrice était condamnée. Le procureur d’Annecy, Eric Maillaud, a pour sa part contesté « formellement » avoir voulu, par ces poursuites, faire le « ménage » dans l’inspection du travail.

Il avait pourtant déclaré à L’Humanité , en mai : « On n’en est qu’au stade des poursuites, mais ce peut être un rappel à l’ordre pour un corps qui se doit d’être éthiquement au-dessus de la moyenne, une occasion de faire le ménage. » Un propos qui n’a fait l’objet d’aucun rectificatif, ni d’aucun droit de réponse, selon L’Humanité .

A quelques jours de l’audience du 16 octobre, le procureur a cependant classé sans suite un procès verbal dressé par Laura Pfeiffer contre Tefal pour entrave au fonctionnement du CHSCT de Tefal. « Une provocation » , a réagit l’intersyndicale du ministère du Travail, qui « demande expressément à la hiérarchie de l’administration du travail de faire appel auprès du procureur général contre la décision de classement sans suite » .

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