Cahuzac condamné (2)…

… au mensonge à perpète

Bernard Langlois  • 16 septembre 2016
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Cahuzac condamné (2)…
© AFP

« Ce compte, c’est du financement d’activités politiques pour un homme, Michel Rocard, dont j’espérais qu’il aurait un destin politique national ».

Lorsqu’il lâche cette petite bombe à la reprise de son procès, le 4 septembre, Jérôme Cahuzac sait sans doute qu’il ne sera pas cru. Il parle de son premier compte en Suisse, ouvert en 1992. A l’époque, il vient de quitter le cabinet de Claude Evin, rocardien historique et ministre de la Santé dans le gouvernement Rocard, lequel vient d’être remplacé à Matignon par Edith Cresson. Personne ne doute alors que l’homme de la « deuxième gauche » sera candidat, et cette fois jusqu’au bout, à la présidentielle, de 1995.

Une échéance de cette ampleur se prépare largement en amont, notamment sur le plan financier. Les sommes qu’exige une campagne nationale excèdent largement les possibilités militantes, et même les subventions allouées par l’Etat aux partis depuis la nouvelle loi (rocardienne du reste) de 1990.

Tout candidat, Rocard comme tout autre, est donc conduit à se constituer un bas de laine et, bien sûr, il y a des hommes pour ça. Jamais le candidat ne s’expose lui-même dans des opérations douteuses, voire illégales. Ce qu’explique aujourd’hui l’accusé à ses juges, c’est que Rocard n’était pas au courant de ce compte suisse, alimenté par les labos pharmaceutiques que lui, Cahuzac, était chargé de démarcher. « Du reste, précise-t-il, ils arrosent tous les partis. »

Chargé par qui ? Il ne le dira pas. Tous ceux qui connaissent un peu la rocardie ont quelques idées là-dessus, qu’ils gardent eux aussi pour eux. C’est la loi du genre.

Ce possible financement politique avait déjà été évoqué lors des premières révélations de Mediapart, aux tous débuts de l’affaire (fin 2012), sans que rien ne puisse être prouvé.

Aujourd’hui, pas plus qu’hier, on ne trouvera la moindre preuve de ce qu’avance l’ancien ministre du budget du gouvernement Ayrault. Et comme il a beaucoup menti avant ses aveux tardifs, il est facile de l’enfoncer.

Avec cette circonstance aggravante qu’entretemps, le 2 juillet, Michel Rocard est mort !

Indignation générale : non seulement ce salopard met en cause un défunt, mais il salit une icône, un des rares politiques français considérés comme moralement irréprochable … Parmi les plus indignés, Valls et Macron, qui se disputent son héritage politique.

Je ne suis guère suspect de vouloir salir la mémoire de celui qui fut mon mentor politique et à qui j’ai toujours gardé, au-delà d’un éloignement définitif (au moment de Maastricht), respect et tendresse. J’ai intégré son équipe en 1972, au temps du PSU : Valls avait dix ans et Macron n’était pas né.

Contre leur opinion, j’affirme que ce que dit ce pauvre Cahuzac, sous les lazzis qui l’accablent, est non seulement plausible, mais même probable : dans l’entourage d’un potentiel président de la République, il est des hommes qui — par conviction, par amitié, par intérêt aussi parfois —, se donnent pour mission de le décharger de tout souci d’argent.

Que l’actuel Premier ministre, qui plus est ancien ministre de l’Intérieur, joue aujourd’hui les rosières effarouchées, me fait rire aux larmes. De même, les Sapin et autres Colmou, Huchon ou Moscovici …

Quant à Hollande, « à qui je n’ai jamais menti », affirme aussi Cahuzac, au poste qu’il occupait au PS hier, comme sur le trône où il est juché aujourd’hui, qu’il ait pu ne rien savoir est tout simplement invraisemblable : il n’avait pas à poser à son ministre une question dont il connaissait la réponse.

Jérôme Cahuzac est aujourd’hui un homme détruit, qui attend un verdict dont on conçoit mal qu’il puisse lui éviter la prison. Il a largement mérité son sort et ne peut s’en prendre qu’à lui-même. D’avoir beaucoup et longuement menti fait que, quoi qu’il dise, on ne le croit plus.

Il est déjà condamné au mensonge à perpétuité.

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