Quelques lueurs…

La pédopsychiatrie, ce sont aussi des rencontres, du commun, de l’espoir et du désir.

Docteur BB  • 18 décembre 2018
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Quelques lueurs…
photo : Hu Chenhuan / XINHUA

Après mûre réflexion, j’ai décidé de laisser en plan – pour le moment – certains textes trop acerbes ou critiques, et de finir l’année sur des notes moins pessimistes.

Car, il faut le dire et le redire, l’affirmer sans relâche et avec fougue : j’ai la chance infinie d’exercer un métier magnifique et plein de gratifications. La critique, ou le discernement, n’empêchent pas l’espoir et le désir ; au contraire, ce sont leurs corolaires. Lorsque, à l’occasion de ma vie mondaine, j’avoue être pédopsychiatre, on me regarde souvent avec un air apeuré et une moue inquiète, en demandant, plein de compassion – mais aussi en esquissant quelques pas de recul : « mais ce n’est pas trop dur ?! ».

Alors oui, la souffrance existe, et elle est terrible, surtout lorsqu’elle touche des enfants. Mais a-t-on vraiment besoin d’être pédopsychiatre pour l’appréhender ?! Faut-il être enfermé dans un « monde freudien » en voie de disparition pour percevoir la violence, le négatif et la douleur inhérente à l’existence et à la condition humaine ?

Je ne le crois pas… Par contre, être psy suppose d’entrevoir la possibilité d’intervenir, un tant soit peu, pour que ce mal-de-vivre, d’une façon ou d’une autre, puisse s’intriquer avec la créativité, le jeu, l’amour ou le désir. Il y a des résistances qui peuvent se dénouer ; des empêchements qui peuvent redevenir des élans ; de l’altérité qui peut émerger à nouveau dans l’immobilité du même…

Encore faut-il arracher ses œillères, et s’exposer à la fureur et à l’angoisse.

Et tout cela n’est pas une profession de foi : c’est du vécu, des histoires ; des errements et des larmes. Des cris, pas mal de cris. Parfois des désillusions, ou des demi-teintes… Souvent beaucoup de doutes et d’attentes.

Des prises de tête, des prises de corps

Ce sont aussi des jeunes adultes, qui continuent à nous donner de leurs nouvelles, des années après… Des cartes postales.

Des adolescents déscolarisés qui réussissent finalement dans leurs études et leurs projets.

Et puis, des rencontres. Parce que, ce métier, on ne l’exerce pas seul. Certes, il y a toutes les équipes des CMPP, nos collègues, nos sœurs et frères d’armes, orthophonistes, psychomotriciens, éducateurs spécialisés, psychothérapeutes, assistantes sociales, etc. Avec toutes nos réunions, nos discussions, nos désaccords et nos ententes. Nos douleurs partagées et nos fiertés. Nos individualités et nos communs.

Mais aussi, tous ces partenaires, rencontrés ici et là qui luttent également de leur place, avec abnégation et courage. Des éducateurs, des enseignants, des pédiatres ou des généralistes, des médecins et des infirmières scolaires, des puéricultrices, des travailleurs sociaux, etc.

Le plus grand des fléaux, celui-ci qui nous menace tous en ces temps difficiles, c’est le renoncement. La perte d’envie. La routine délétère et désabusée… Et il y a de quoi s’enfermer dans la morosité quand on perçoit son cadre de travail se déliter au quotidien, quand on se sent débordé, dénigré et empêché pour faire ce qui semble juste et nécessaire. Quand des procédures gestionnaires et managériales de plus en plus absconses viennent distiller de l’insignifiance dans toutes nos pratiques…

Et pourtant, je reste surpris par le nombre de personnes qui résistent dans leur engagement professionnel, qui donnent du sens et de la valeur à leurs interventions, qui se battent parfois contre les procédures pour préserver des paroles et des actes vivants. Par ces acteurs qui, par leur présence et leur espérance, réinsufflent de la vitalité au sein d’institutions quelque peu moribondes et gangrénées par les protocoles.

Des enseignants qui accueillent véritablement dans leur classe, au quotidien, certains enfants particulièrement difficiles – ceux avec lesquels on est épuisé au bout d’une séance de thérapie.

Des professeurs qui transmettent de l’humanité, au-delà des compétences.

Des infirmières scolaires qui savent tendre la main, écouter et intervenir.

Des travailleurs sociaux engagés, pugnaces et réalistes.

Seuls, on ne peut rien, ou pas grand-chose, face à la complexité des situations que nous prenons en charge.

Le temps du psy drapé dans sa neutralité, coupé du social et indifférent aux assauts de la réalité extérieur doit sans doute être révolu – même si cela n’est pas évident pour certains… Et cela ne suppose pas pour autant de perdre son identité, de se diluer dans l’indifférenciation ou de se laisser happer par les sirènes de la séduction. Non, on peut rester d’aplomb dans ses références et sa pratique sans s’enfermer au sein d’une forteresse de silence.

Un enfant ne peut exister et grandir sans une constellation de relations, sans un maillage de liens institués mais aussi d’interactions plus sauvages et spontanées.

Alors j’ajouterai une dernière chose aux notes d’espérances : la confiance des professionnels et surtout des familles – pas toutes… Car c’est parfois devenu un défi de pouvoir encore accorder du crédit, de confier, d’accepter la place d’un tiers, de s’épancher, de prendre le risque de se raconter… Néanmoins, il faut absolument que l’on puisse encore se faire confiance, en accordant à l’autre la reconnaissance de sa place et de son individualité, avec humilité. Nous ne sommes pas des prestataires de service interchangeables ; des bureaucrates sans âmes. Nous sommes des personnes engagées dans des histoires et des affects, avec nos peurs, nos aveuglements et notre sensibilité. Et c’est ainsi que l’on travaille, et c’est ainsi que l’on peut aider.

Comme le dirait Freud, aller bien, n’est-ce pas mettre du travail dans l’amour et de l’amour dans le travail ?

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