Linky : un compteur avantageux, mais pour qui ?

Christine Tréguier  • 24 juillet 2013
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Après deux ans de tests des nouveaux compteurs dits « intelligents », la décision vient de tomber. Le Premier ministre, lors de son discours de présentation du plan d’investissements d’avenir sur dix ans, a annoncé le déploiement des compteurs Linky. Un appel d’offres sera lancé cet été pour installer trois millions de nouveaux compteurs électriques en France d’ici à 2016. Et en 2020, tous les logements devront être équipés. Cependant, l’État ne mettra pas la main à la poche, l’investissement, estimé au total à 5 milliards d’euros, sera, a-t-il assuré, financé par EDF sur ses fonds propres. Laquelle pourrait bien faire payer l’abonné ultérieurement en majorant le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité   (TURPE).

-Le communiqué de l’UFC -[Le texte de Pièces et Main d’œuvre ->http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=423] -La recommandation de la CNIL
Figurant au volet des investissements en faveur de la transition énergétique, Linky est supposé aider le consommateur à consommer mieux et moins. Lors de son discours, Jean-Marc Ayrault a évoqué un compteur «   qui va faciliter la vie des utilisateurs grâce aux relevés à distance, qui les aidera à maîtriser leur consommation d’électricité en les informant mieux, qui permettra de développer de nouveaux services comme le pilotage automatique des appareils électriques du foyer   ». Pour les associations de consommateurs, rien n’est moins sûr. Car faire des économies d’énergie suppose que l’utilisateur puisse visualiser sa consommation en temps réel. Un avantage que vantent les publicités d’EDF, mais qui est loin d’être une réalité. En effet, les compteurs électriques sont souvent situés en dehors du logement. Un affichage déporté aurait fait l’affaire, mais, malgré des demandes réitérées, les associations n’ont pas pu l’imposer. «   Cette exigence fondamentale, si on veut que le Linky présente un intérêt pour les usagers, n’est pas demandée à ERD, constate l’UFC-Que choisir. Son seul impératif, c’est de permettre de visualiser sa consommation d’électricité en se connectant sur Internet ou via un smartphone. On est à mille lieues d’un petit écran placé dans l’entrée ou la cuisine qui donnerait, en temps réel, la consommation des appareils et des usages !   » D’autant plus que cette option serait aux dernières nouvelles payante   !

Cet affichage sur Internet soulève d’autres inquiétudes   : en cas de piratage, les données livreraient des informations sur la présence au domicile et pourraient permettre aux cambrioleurs de choisir leurs horaires de visite…

En janvier   2013, la Cnil publiait une première recommandation dans laquelle elle estimait que la fréquence des relevés journaliers de consommation devait être limitée, pour ne pas livrer trop d’informations précises sur les habitudes de vie des personnes. Elle annonçait également la création d’un groupe de travail «   pour aboutir à la publication de bonnes pratiques, en concertation avec les industriels du secteur   » d’ici à l’été 2013. Depuis, c’est silence radio. Il a été dit que la transmission des données se ferait via des liaisons physiques par courants porteurs en ligne (CPL) et qu’elles seraient cryptées. Mais certains évoquent aussi la présence de cartes SIM. L’opacité technique et la perspective de collecte par EDF de données indicatives de ce qu’ils font chez eux ne rassurent pas les utilisateurs. Et il a clairement été dit que les fournisseurs d’électricité –   ou leurs partenaires   – pourraient ainsi concevoir des services sur mesure, dont on imagine qu’ils ne seront pas gratuits. Faute de précisions sur tous ces points, l’annonce de la généralisation de Linky laisse donc l’impression qu’une fois de plus les usagers devront, quoi qu’il en coûte, se soumettre aux nécessités de la croissance.

Pour l’UFC «   le compteur Linky ne favorisera pas les économies d’électricité : il est conçu avant tout dans l’intérêt d’ERDF et des fournisseurs d’électricité, EDF en tête   » . L’argument de la création d’emplois, avancé dans le dossier de presse gouvernemental, n’est guère plus convaincant. Il y est dit que le groupe EDF souhaiterait développer une véritable filière d’excellence pour l’exportation   : «   En prenant en compte l’ensemble des opérations nécessaires à la conception et à la fabrication, c’est entre 62 et 80   % du compteur qui sont susceptibles d’être construits en France, avec la création potentielle de 10   000 emplois, dont 5   000 pour la pose.   » Belles promesses dont on peut cependant douter. Dans une enquête réalisée par Degroupnews en   2011, trois fabricants de compteurs étaient identifiés   : l’un est américain, l’autre se trouve en Slovénie et le siège social du troisième, une spin-off de Toshiba apparemment, est installé en Suisse. Rien ne garantit donc que la fabrication se fera en France. Et les emplois pour la pose ne seront pas pérennes.À bien y regarder, on se dit que Linky et autres compteurs intelligents s’inscrivent parfaitement dans l’évolution vers cette société de la surveillance consentie dont on nous ressasse les avantages. Une évidence pour le collectif grenoblois Pièces et Main d’œuvre qui estime que «   Linky illustre la “planète intelligente”, le programme de pilotage global et cybernétique de la société, vendu depuis des années par IBM au pouvoir pour gérer la réduction des “ressources” à l’époque de l’effondrement écologique et social   » .

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