Méthodes expéditives à La Poste

Plusieurs cas de discrimination syndicale révèlent un management répressif à La Poste. Ces pratiques s’inscrivent dans un processus de privatisation de ce service public.

Jean-Baptiste Quiot  • 8 février 2007 abonné·es

C’est une première. Un procès contre une cadre de La Poste ! Mise en examen le 6 septembre 2006, l’ancienne directrice du centre de tri postal de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, a en effet été renvoyée, le 11 janvier, par le juge d’instruction devant le tribunal correctionnel pour discrimination à l’embauche. Rappel des faits. La coutume veut qu’à La Poste on recrute les enfants d’agents pour travailler pendant les vacances d’été. Or, en 2004, à la suite d’un conflit sur la sécurité dans le centre, la directrice refuse d’embaucher huit enfants d’agents. Pour quels motifs ? Pour le syndicat SUD-PTT, cela ne fait pas de doute : « Tous étaient des enfants d’adhérents à une association de défense des salariés ou de représentants du syndicat SUD, qui est la deuxième organisation syndicale de La Poste. Les dirigeants de La Poste la considèrent d’ailleurs comme une organisation subversive. »

Plus qu’une simple faute professionnelle, cette discrimination syndicale est révélatrice du climat social de La Poste et des méthodes de management des dirigeants. Celles-ci consistent à briser les résistances au processus de plus en plus développé de privatisation du secteur. « La gestion par la peur a fait son entrée dans le monde du travail. Et ceci grâce à des méthodes de management raffinées et individuelles », explique Christophe Dejours, spécialiste des psychopathologies du travail au Cnam . Répression syndicale, harcèlement, système d’évaluation individuel et intimidation sont des techniques qui accompagnent la casse de ce service public.

Pour les syndicats, cette privatisation qui ne dit pas son nom est déjà très avancée. Les fonctionnaires sont moins nombreux et des contractuels les remplacent, moins payés et plus faciles à licencier. L’activité de La Poste est divisée en plusieurs secteurs afin de mieux éparpiller la contestation. La Banque postale est aussi devenue une société anonyme de droit privé, dont les capitaux appartiennent encore à l’État. Mais pour combien de temps ? La déréglementation généralisée est prévue pour 2009 avec l’ouverture totale au marché des activités de La Poste.

En plus de la perte d’efficacité du service pour les usagers, l’objectif de privatisation engendre un nouveau type de management qui consiste à s’attaquer aux syndicats et à briser les réseaux de solidarité. La direction générale de La Poste encourage ces méthodes auprès de ses cadres et les forme dans ce sens. En témoigne le soutien qu’a reçu la directrice de Saint-Brieuc dans l’affaire de discrimination. Le 27 octobre 2006, celle-ci rend publique la promotion dont elle vient d’être gratifiée : chef de projet à Avignon. Et, bien qu’elle soit mise en examen, elle n’hésite pas à décrire son passage au centre de tri de Saint-Brieuc « comme l’une de [ses] plus belles expériences humaines et professionnelles » .

Les postiers font, eux aussi, de « belles expériences humaines » . « Beaucoup de collègues se plaignent de subir des pressions, des vexations inacceptables de la part de l’encadrement » , raconte Serge Le Quéau, un des responsables de SUD-PTT dans les Côtes-d’Armor. Il cite deux procédures de harcèlement qui concernaient SUD et la CGT au centre de distribution du courrier de Dinan, qui ont été traitées en interne, puis abandonnées en raison de la mutation du chef d’établissement. Ou encore le cas de ces deux postiers de Marseille qui ont été écartés de leur service pendant trois mois en juillet pour avoir commis des erreurs de tri, malgré deux condamnations de la direction aux prud’hommes. « Il s’agit de charger au maximum la masse de travail de l’employé dont on veut se débarrasser pour le forcer à faire des erreurs et le licencier » , constate Christophe Dejours.

À terme, c’est bien la liquidation des syndicats qui est visée. Comme en témoignent ces mesures disciplinaires à l’encontre de 14militants de Bègles-Bordeaux qui avaient participé à une action syndicale. Pour faciliter cette liquidation, la direction de La Poste s’attaque aux réseaux de solidarité. Comment ? En mettant en place un système d’évaluation individuelle nommé « appréciation » . Pour Christophe Dejours, « la vraie nouveauté dans les méthodes modernes de management, c’est l’évaluation individuelle des performances. Par ce moyen, on établit des relations de concurrence qui transforment le tissu humain du travail et augmente la solitude. Cette transformation a pour résultat de détruire en profondeur les solidarités et à terme les syndicats eux-mêmes ». L’objectif de privatisation de La Poste est d’ajuster le fonctionnement de son activité pour le rendre plus rentable. Et de remettre en cause le service public.

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