Terreur organisée

José Maldavsky signe une enquête remarquable sur une colonie nazie au pays de Pinochet.

Jean-Claude Renard  • 29 mars 2007 abonné·es

Arrêté à Buenos Aires en 2005, condamné à vingt ans de prison pour abus de mineur, Paul Schaefer était recherché par les autorités chiliennes depuis 1997. Selon un avocat des victimes, « c’est le seul exemple dans le monde d’un système entièrement conçu pour satisfaire les perversions sexuelles pédophiles du leader d’une organisation. C’était un système quasi industriel pour l’approvisionnement en enfants » .

Ce n’est là qu’un préambule. « Les accusations contre Paul Schaefer ne s’arrêtent pas là » , souligne la voix de Claire Martin, correspondante au Chili pour Radio France. Un procès devrait avoir lieu à Paris (en 2008) pour séquestrations et actes de tortures. À vrai dire, le parcours de Schaefer est édifiant, même dans les grandes lignes. Infirmier pendant la Seconde Guerre mondiale, il fonde un foyer pour veuves et orphelins en Allemagne, dans les années 1950, la «~Colonie de Bienfaisance Dignité~». Une secte, ni plus ni moins, articulée autour d’une figure charismatique. Sur place, violences et abus sur les enfants. Quand la police commence à enquêter, il fuit au Chili, avec armes et bagages (comme on dit), ses colons et ses chères têtes blondes.

La Colonia Dignidad se développe rapidement, prospère, avec les crédits de l’État, sous l’étiquette de «~bienfaisance~», et une réputation anticommuniste. Le décor est correctement cadré dans la campagne : vaste domaine, miradors, barbelés, panneaux en lettres gothiques à l’entrée ­ un vrai camp, en somme, qui en rappelle un autre, Auschwitz. À l’intérieur, un lupanar pour pédophiles, une galerie d’interdits, des micros, et une médication forcée qui permet de maintenir les colons au rang de légumes.

En 1973, au lendemain du putsch, la Colonie apporte son soutien au régime de Pinochet, collabore avec la police secrète de la dictature (la Dina), offre ses différentes bâtisses. Elles servent de lieu de séquestrations et de tortures. Des coups en masse, des électrodes sur tout le corps, se souvient une victime, qui se demande encore comment elle a pu sortir vivante de ce cauchemar. La Colonie ne manque pas de zèle, et Pinochet reconnaît ses braves. Toujours sous la houlette de Schaefer, elle participe activement à l’opération Condor (consistant à éliminer les opposants au régime hors même des frontières du Chili). Les lieux servent aussi aux trafics d’armes et aux expériences sur des armes chimiques. Après le régime des militaires, il n’y aura aucune poursuite.

De secte, la Colonie s’est muée en riche entreprise, dont on estime le bénéfice annuel à près de cent millions de dollars. Seules les plaintes pour abus sexuels ont permis de faire tomber son leader, longtemps protégé par ses appuis en Amérique latine.

José Maldavsky réalise là une remarquable enquête, suivant une structure en oignon. Une couche, puis une autre. Il faut dire que le sujet n’en manque pas, s’enfonçant toujours un peu plus dans l’horreur. Et dans la masse de témoignages qui tissent le récit, avec très peu d’images d’archives, à côté de victimes, d’anciens prisonniers politiques torturés, d’avocats, de responsable d’Amnesty International, de juges, Maldavsky est aussi parvenu à recueillir les propos des anciens chefs de la police secrète, aujourd’hui bien installés. Aucun remords, aucun scrupule, même s’ils reconnaissent les liens ente la Colonie et la dictature. Et alors ? Aucune inquiétude non plus en termes de justice. Rien d’étonnant : Pinochet n’a jamais eu à répondre de ses actes.

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