Tournée en bourriques

Lombric, groupe de musique rurale, démarre au Printemps de Bourges une série de concerts en direction des Francofolies de La Rochelle. Soit trois mois de circuit au rythme de la nature, en compagnie d’ânes.

Clotilde Monteiro  • 19 avril 2007 abonné·es

« Il était une fois quatre ânes qui voulaient voir l’Océan [^2]. » Les musiciens de Lombric ont relevé le gant. Sylvaine, Renaud, Sylvain et Pierre vont pousser la chansonnette, escortés de quatre ânes, du Printemps de Bourges jusqu’aux Francofolies de La Rochelle, de la fin avril à la mi-juillet. L’itinéraire de leur tournée, intitulée Je veux être un âne, dessinera au terme de ce périple sur la carte de France un « lombric » de 677 km de long [^3]. Ce tracé sinueux reliera Bourges, Vierzon, Tours, Saumur, Poitiers, Niort et La Rochelle à une ribambelle de villages et de cantons ruraux. Une distance que la formation berrichonne prévoit de boucler tranquillement en quatre-vingts jours, en parcourant à pied une quinzaine de kilomètres par étape, au pas cadencé de ces quatre Grands Noirs du Berry.
L’équipage, composé de deux ânes bâtés, de deux ânes attelés à une roulotte et d’un petit fourgon, se déplacera après chaque spectacle sur les départementales du Cher et d’ailleurs. Nul doute que cette caravane fera sensation avec sa roulotte transformable en scène de spectacle, sur laquelle se produiront les quatre musiciens ambulants. Une attraction en soi !

Pour l’heure, dans le canton de Saulzais-le-Potier, aux confins du Berry, dans le fief de George Sand, l’équipe est sur le pont. À quelques jours du départ et par un froid coupant, Renaud, Sylvain et Pierre apprennent à parler aux ânes et à les conduire, avec Élisa, l’ânière, qui aura la responsabilité de l’attelage tout au long de la tournée. Sylvaine est partie à la ville d’à côté, Saint-Amand-Montrond, rendre visite à l’imprimeur local chargé de fabriquer les affiches du spectacle. Après le déjeuner autour du poêle à bois, au hameau de La Font-Bergère, le quartier général des Lombric, le groupe répète quelques chansons du spectacle. Ils repartiront ensuite au haras pour atteler la roulotte flambant neuve aux deux ânes chargés de la tirer.

« On dit que les ânes ont peur de l’eau. C’est faux. Les ânes sont prudents mais ils n’ont peur de rien [^4]. » Les Lombric non plus n’ont pas froid aux yeux. Ces saltimbanques « à la ruralité corrosive » – dixit Grégoire Simon, des Têtes raides, le parrain et manager du groupe – ont en effet l’audace et l’opiniâtreté, à l’heure des cultures urbaines, du peer to peer et de la précarisation accrue des intermittents, de faire de la musique autrement. Ces jeunes artistes veulent promouvoir leur répertoire en se déplaçant au rythme des saisons, de la nature et de ceux qui y vivent. Au lieu d’emprunter les sentiers battus et balisés des scènes artistiques classiques, peu enclines à promouvoir un groupe de « musique rurale », Lombric invente son propre circuit.
Si ces énergumènes de la scène musicale française caressent le rêve de tutoyer un jour le succès, ils ambitionnent aussi, chemin faisant, de (ré)investir l’espace rural pour favoriser les échanges et le dialogue avec le public. Les salles des fêtes, les marchés, le café d’en face, la ferme du coin, la grange de l’habitant, l’école, la colo ou la fête du village sont pour eux autant de lieux et d’événements propices pour fédérer la population locale autour de leur spectacle.

Le site Internet de Lombric affiche d’ailleurs la couleur : « Choisir la lenteur, marcher avec des ânes, c’est se donner le temps d’habiter un biotope et d’aller à la rencontre de ceux qui le façonnent. C’est créer un lien de proximité animal et humain en pariant sur la curiosité du public et l’effervescence d’un réseau social et culturel urbain ou agricole en lisière des institutions. » Écologiste dans l’âme, donc, Lombric avait même échafaudé l’idée d’une tournée en autonomie totale fonctionnant grâce à l’énergie solaire. Ce projet tombé à l’eau, car techniquement irréalisable, n’a pas découragé le groupe. Malgré leurs maigres moyens, ces quatre Berrichons d’adoption ont tout de même fait le choix (coûteux) d’un équipement à basse tension pour se mettre, là aussi, au diapason de leur envie de faire de la scène dans des endroits inhabituels. « Il suffit de deux prises de courant branchées sur le secteur pour alimenter la sono et les lumières du spectacle, explique Renaud, on peut sans problème se connecter chez l’habitant. »

Artistes engagés à leur manière, les membres de Lombric ne brandissent pour autant aucun étendard et se défient des dogmes et des mouvements en vogue. Ces « écolos décroissants non revendiqués » refusent de se perdre en vaines paroles et de « se prendre politiquement la tête » comme le dit Renaud. Pas de blabla mais des actes. Comme participer au Grand Souk populaire organisé par le comité local de soutien à la campagne de José Bové. Leur désir profond d’incarner la ruralité se décline aussi à travers leur album Demain sera mieux, aux accents d’une chanson traditionnelle incarnée par Marianne Oswal ou Anne Sylvestre. Au cours de ses haltes dans les villages, Lombric proposera aussi au public de participer à son atelier de linogravure. « Une initiation ludique accessible à tous les publics pour aborder sur le mode artisanal l’image imprimée et la typographie », explique Sylvaine.
Ce projet artistique et participatif s’est construit au fil des deux cents concerts déjà donnés par le groupe. Dans les endroits les plus reculés de la France dite « profonde », Lombric a découvert qu’il pouvait créer l’événement, fédérer des volontés localement et capter un public habituellement peu, voire jamais, sollicité.

« Ce qui compte chez Lombric, c’est ce que j’appelle l’initialité des choses, c’est le talent, sans lequel rien ne peut exister, combiné à la démarche de l’artisan qui travaille avec noblesse et dignité, explique Grégoire, il y a une prise de risques énorme chez eux, comparable à celle de l’agriculteur qui travaille dur tout en ayant toujours présent à l’esprit que ses efforts pourront être réduits à néant si sa récolte est détruite par la grêle. »
En attendant le succès, à quarante ans passés, Sylvaine et Renaud sont Rmistes. Les deux frères, Sylvain et Pierre, se partagent un statut d’intermittent, équivalant mensuellement pour chacun à un RMI. Une allocation à laquelle ils ne peuvent prétendre puisqu’ils ont un peu moins de vingt-cinq ans. Qu’à cela ne tienne, le groupe entame sa tournée par le Printemps de Bourges, où il se produit le 19 avril à 17 heures, en marge du festival. La caravane de Lombric fait sa première halte au café Le Marlain, où sa maison de disques, Mon Slip (créé par Les Têtes raides), organise un cabaret avec d’autres artistes du label. « Nous ne serons pas dans le Festival in, ni dans le off, mais dans le out » , signalent avec malice les Lombric.

« Dans le jardin, j’essaye de brouter le gazon, de crotter comme un ânon. Être un âne, ce n’est pas si facile… » , entend-on dans le spectacle. Gageons que l’année prochaine, le Printemps de Bourges saura ouvrir grand ses portes à ces saltimbanques opiniâtres !

[^2]: Extrait parlé du spectacle Je veux être un âne.

[^3]: La tournée et ses péripéties seront racontées au jour le jour par les Lombric sur leur blog accessible depuis leur site, www.lombric.fr. Les dates de la tournée sont aussi en ligne sur www.pour-politis.org

[^4]: Ibid (1).

Écologie
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