Quatre moratoires et un nouveau gouvernement

Les associations écologistes poursuivent leurs revendications contre
la construction de nouvelles autoroutes, d’incinérateurs d’ordures,
de la centrale nucléaire EPR, et contre les cultures d’OGM.

Patrick Piro  • 10 mai 2007 abonné·es

Paradoxalement, et en dépit du médiocre résultat des Verts, les associations écologistes peuvent se féliciter de leur bonne campagne électorale. Outre l’irruption très remarquée de Nicolas Hulot, qui a attiré l’attention sur le dérèglement climatique comme jamais auparavant lors d’une échéance politique majeure en France, elles sont parvenues à forcer les portes du débat en plusieurs occasions. En particulier grâce à l’Alliance pour la planète. Cette plate-forme de 74 organisations ^2, constituée pour intervenir lors des scrutins de 2007, a noté le volet écologique du programme des candidats (voir ci-contre), et a exigé d’eux quatre moratoires [^3]~: sur la construction de nouvelles autoroutes, de nouveaux incinérateurs d’ordures ménagères, du prototype de réacteur nucléaire EPR et sur la culture d’OGM en plein champ. Ségolène Royal avait retenu les trois derniers, Nicolas Sarkozy aucun. Un socle de revendications que les associations présenteront à son prochain gouvernement, mais aussi aux candidats aux législatives de juin.

Autoroutes.

Les transports routiers comptent pour 26~% des émissions de gaz à effet de serre (première source), en croissance de 22~% depuis 1990. Comment prétendre les diviser par quatre d’ici à 2050 (objectif gouvernemental) tout en programmant d’ajouter 2 500 km d’autoroutes aux 11 000 déjà existants~? Dans un pays où le réseau est le plus dense d’Europe (aussi long que ceux de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne réunis~!), ces projets illustrent à quel point la politique du «~tout-routier~» n’a que marginalement été remise en question en France. L’autoroute, où la vitesse autorisée reste rivée à 130 km/h, génère des émissions accrues de gaz à effet de serre et ponctionne environ six millions d’euros par kilomètre de bitume, non investis dans d’autres modes de transports moins polluants. «~Mais, alors que la contestation dépassait rarement le niveau local, un mouvement national d’opposition à divers projets d’autoroutes en France a récemment émergé~» , témoigne Olivier Louchard, chargé du dossier transport au Réseau action climat. A65 (Aquitaine), vallée du Rhône, A24 (Nord), A45 (Rhône), A32 (Lorraine) Transnavarraise, A12 (Yvelines), contournements de Strasbourg et de Bordeaux, etc., les projets en cours ont suscité de multiples oppositions (associations, élus, etc.) et, le 10 juin 2006, plus de 150 associations et syndicats lançaient un appel pour un moratoire autoroutier en France ^4. Il a notamment débouché sur deux mobilisations, le 16 septembre 2006 à Valence, et le 24 mars dernier dans plusieurs villes de France. Le 1er mars, première victoire~: le tribunal administratif de Bordeaux annule le projet de contournement autoroutier de la ville. Décision immédiatement attaquée… par l’État~!

Incinérateurs.

L’opposition au «~tout-incinération~» est une autre revendication montante. La domination de gros opérateurs industriels dans le traitement des déchets ménagers a largement favorisé le développement des incinérateurs, dont 134 sont actuellement en fonctionnement et une quinzaine en projet. Premier parc européen, il traite 43~% du tonnage des ordures et concentre de nombreuses critiques~: pour être «~rentables~», les fours doivent fonctionner en permanence au meilleur régime. Cette demande en «~combustible~» contrecarre les efforts de réduction des déchets à la source et détourne des matières (plastiques, papiers, cartons, etc.) du recyclage. Or, ce dernier est d’un intérêt bien supérieur à la récupération de l’énergie dégagée par les incinérateurs, de faible rendement. Surtout (et c’est la cause de dizaines de mobilisations à Fos-sur-mer, Lunel-Viel, Besançon, Clermont-Ferrand, etc.), leurs panaches de fumée ont déclenché des cancers, comme l’a prouvé une étude épidémiologique en novembre dernier. Les pro-incinération affirment que les installations les plus polluantes sont désormais fermées, et que les plus modernes sont aux normes, en particulier pour les émissions de certaines des sinistres dioxines. Mais les associations rétorquent qu’une vingtaine de paramètres seulement sont contrôlés, quand l’incinération libère quelque 2 000 molécules, dans les fumées mais aussi dans les résidus parfois «~recyclés~» sans précautions. Des arguments qui commencent à convaincre les tribunaux administratifs, comme celui de Montpellier, qui a interdit le fonctionnement de l’incinérateur de Lunel-Viel (Hérault) le 9 février dernier. Décision immédiatement bloquée par le préfet, qui a ordonné le maintien du fonctionnement au nom de «~l’intérêt général~» . «~C’est très frustrant, on se heurte régulièrement au mur de l’État~» , déplore Éric Gall, directeur du Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid) ^5

EPR.

La bataille contre le nouveau prototype de réacteur nucléaire EPR, «~coûteux et inutile~» selon de nombreux experts et politiques (pas nécessairement opposés au nucléaire), a été le principal temps fort des mobilisations écologistes de la présidentielle. Tête de file, le Réseau sortir du nucléaire (776 associations) est l’un des principaux animateurs de la campagne «~Stop EPR~», en vigueur depuis plusieurs mois et ralliée par 1~100 associations, dont 300 d’une cinquantaine de pays étrangers. Selon ce collectif, plus de 600 000 personnes y ont déjà participé ^6. Une journée d’action, le 17 mars dernier, a mobilisé près de 62 000 militants dans 5 villes. Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de signer, quelques jours avant la fin de son mandat, le décret autorisant la construction de l’EPR, que Nicolas Sarkozy défend fermement. La mobilisation ne devrait donc pas faiblir à l’approche des législatives, estime Philippe Brousse, coordinateur national du Réseau sortir du nucléaire, et jusqu’à la fin de l’année, période à laquelle le réacteur pourrait sortir de terre sur le site de la centrale de Flamanville (Manche).

OGM.

Sujet de mobilisations permanentes depuis trois ans, les cultures de plantes transgéniques sont promises, cet été encore, à des arrachages militants : là encore, le gouvernement a signé mi-mars un décret autorisant in extremis la culture commerciale (et plus seulement expérimentale) du maïs Mon 810 de Monsanto (seul OGM autorisé à ce jour). De quoi offrir un semblant de légalité aux semailles d’avril, car la France n’est toujours pas en règle avec la directive européenne obligeant à un encadrement strict d’une agriculture transgénique. 30 000, 50 000 hectares de ce maïs OGM en 2007~? C’est l’opacité totale. «~Aucun chiffre ni localisation ne seront officiellement disponibles~» , rappelle Arnaud Apoteker, chargé du dossier à Greenpeace
^7. Un sondage commandé en septembre dernier par l’association montrait que 86~% de Français sont favorables à une interdiction temporaire ou définitive des OGM. Nicolas Sarkozy a indiqué à l’Alliance qu’il souhaitait un surcroît d’expertise avant de se prononcer sur un éventuel moratoire.

[^3]: Positions tactiques, l’objectif final étant l’abandon pur et simple.

Écologie
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