Follement tragique

L’histoire de l’hôpital de la Salpêtrière vue par
Mâkhi Xenakis et Anne Dimitriadis, du temps
où l’on y enfermait les malades mentales.

Gilles Costaz  • 14 juin 2007 abonné·es

Mâkhi Xenakis est une plasticienne qui bascule parfois du côté des décors de théâtre. Mais, avec les Folles d’enfer de la Salpêtrière, elle rejoint le théâtre par un autre chemin : elle a écrit naguère ce livre sur l’hôpital parisien de la Salpêtrière ; une jeune femme metteur en scène, Anne Dimitriadis, a eu envie de le porter à la scène.

C’est un ouvrage qui n’appelle pas naturellement le plateau de théâtre. C’est un livre d’histoire, qui est aussi un cri. Comment a-t-on pu enfermer et martyriser les femmes si longtemps ? La Salpêtrière était, à sa naissance et pendant une longue période, réservée aux malades de sexe féminin. Dès sa création, au début du XVIIIe siècle, il avait un objectif psychiatrique (bien que ce mot-là fût encore à inventer) : on y enfermait et traitait les malades mentales. Mais, la folie étant plus encore que maintenant une notion fluctuante, on y mettait n’importe qui, en confondant la démence, l’épilepsie et l’esprit de rébellion.

Ce que raconte Mâkhi Xenakis ­ et qui est, en quelque sorte, le livre que Michel Foucault n’a pas écrit : le récit de la folie féminine dans la pensée étroite et féroce du passé ­ est tout à fait terrifiant. Les malheureuses internées vivent d’abord dans des cavités d’où n’émergent que leurs têtes. Les salles vont s’élargir, les « malades » auront plutôt droit à la chaîne. Et l’on y masse toutes les femmes qui dérangent. Du coup, certains en déduisent que c’est un bordel gratuit. Les viols s’y multiplient. Ou bien on envoie certaines de ces femmes, et des enfants, donner du plaisir aux hommes des colonies. Au début du XIXe siècle, des médecins rendent la liberté à des femmes que l’entourage était trop heureux d’avoir casées dans cet interminable mouroir. Ils repensent les traitements et le concept de folie. Charcot arrive enfin…

Anne Dimitriadis n’a pas tenté de refaire Marat-Sade de Peter Weiss. Pour évoquer l’hystérie des malades et de l’histoire, elle a préféré une certaine immobilité. Un grand décor dans une lumière claire-obscure évoque, de façon très épurée, un mur de pierre et des bancs creusés dans cette pierre.

Les acteurs ne jouent pas de scènes, n’incarnent pas de personnages. Ils disent. Nathalie Richard est celle qui s’accorde la plus grande part de jeu, elle injecte un peu d’ironie, de hauteur amusée, quand elle parle de femmes au rôle social plus élevé. Marie-Julie Parmentier, sans pathétique, n’est que vivacité et émotion. Jérôme Derre, par le fait qu’il est la seule présence masculine, apporte une autre dimension, possède la distance du témoin.

Parfois, quand on veut transposer un récit de cette manière chorale, le poids du livre vous tombe sur le crâne. Ici, au contraire, il vous parvient avec une sorte de violence délicate. Le spectacle éclaire sourdement une nuit de l’histoire.

Culture
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