En attendant la peine de mort…

Denis Sieffert  • 30 août 2007 abonné·es

Un peu trop vite, nous avons oublié l’un des mots finalement les plus révélateurs de la campagne électorale. Un jour, Nicolas Sarkozy s’était gaussé qu’on puisse interroger des candidats à la Fonction publique sur la Princesse de Clèves . « Vous vous voyez parler à votre guichetier de la Princesse de Clèves ? » , avait-il lourdement ironisé. On en déduisit que le futur président n’aimait guère la littérature. Il faut en conclure aujourd’hui qu’il aime encore moins la Fonction publique. Il rêve d’un monde où les fonctionnaires seraient tous des guichetiers, et des guichetiers qui ne parleraient que de guichet. Et pour cet apprentissage-là, il est vrai que l’on aura toujours trop de professeurs. Car nous ne pouvons nous résoudre, pour notre part, à considérer les nouvelles coupes claires annoncées dans l’Éducation nationale comme de vulgaires mesures d’austérité. Le choix de réduire massivement le nombre d’enseignants n’est jamais économique. Ces onze mille postes qui disparaissent du budget 2008, c’est un choix de société. Un monde à l’endroit devrait faire un pont d’or à nos profs, les porter aux nues, comme le fit jadis la République (non sans arrière-pensée idéologique d’ailleurs). Il devrait rendre possible la modulation des effectifs selon les lieux, et faire de l’école un puissant correctif social (pourquoi pas des classes de dix élèves là où c’est nécessaire ?). Mais c’est peu dire que notre monde est à l’envers.

Ce n’est certes pas Nicolas Sarkozy qui l’a mis cul par-dessus tête. Il n’y a pas si longtemps, un président (socialiste) qui aimait trop la littérature, au point de confondre parfois son destin politique avec un roman, s’était déjà résigné à ce renversement des valeurs. Mais Nicolas Sarkozy ne se résigne pas. Il jubile. L’école forme des citoyens. C’est-à-dire des gens qui ne se réduisent pas à leur qualité d’usager, de consommateur ou de guichetier, et qui n’agissent pas seulement selon leurs émotions. Point trop d’école, donc ! Après trois mois d’expérience, on comprend bien aujourd’hui que Nicolas Sarkozy n’a que faire de ces citoyens-là. Tout son système, au contraire, repose sur l’avilissement du citoyen en petit propriétaire gouverné par ses émotions et jaloux de son pré carré. À chaque fait divers correspondent un discours, menton en avant, une cellule de crise, une promesse et peut-être même une loi. L’empressement à gaver une opinion légitimement bouleversée par des crimes qui font l’ouverture des journaux télévisés de solutions en trompe-l’oeil est devenu la marque de ce régime. Le discours politique peu à peu s’apparente à la loi de Lynch. Ce que les avocates Françoise Cotta et Marie Dosé ont appelé le « populisme pénal » [^2]. La fièvre qui agite perpétuellement Nicolas Sarkozy échauffe notre démocratie. La politique qu’on nous propose devient la négation de toute politique puisque la loi finit par réaliser ce que, précisément, la loi devrait éviter : la réaction pulsionnelle et la vengeance. Nous ne croyons pas exagérer en affirmant qu’une certaine forme de barbarie culturelle et sociale guette.

Le comble est peut-être atteint quand le président de la République demande à la ministre de la Justice de « réfléchir » à la possibilité de traduire devant un tribunal les criminels déclarés pénalement irresponsables. Régulièrement, certains États des États-Unis, comme évidemment le Texas, exécutent des débiles mentaux. Nous cheminons à grand pas vers cet idéal social. Et que l’on ne nous dise pas après cela que Nicolas Sarkozy n’est pas adepte d’une société ultralibérale régulée par la sélection naturelle et par l’élimination sociale ou physique de tout ce qui échappe à la norme du consommateur-propriétaire. Face à ce désastre, quoi ? Un parti socialiste réduit à l’addition de personnalités déjà soucieuses de se placer pour les futures échéances, et à une boîte vocale réglée pour produire mécaniquement des communiqués d’opposition. Des communiqués qui, quelle que soit leur pertinence, ne nous feront pas oublier de sitôt que leurs auteurs sont pour beaucoup à l’origine du désastre. Un parti socialiste qui ne trouverait pas incongru, semble-t-il, que son futur leader ­ le leader de la « gauche » en quelque sorte ­ soit directeur du Fonds monétaire international. C’est-à-dire l’organisme qui, précisément, a pour mission d’imposer à la terre entière la déréglementation libérale. Face à cet autre désastre, la gauche antilibérale et les Verts pansent péniblement leurs plaies. Mais le pire n’étant jamais sûr, qui dit que le mouvement social ne se remusclera pas dans l’adversité, ou que l’agité de l’Élysée ne commettra pas la faute qui le perdra ? En attendant, nous serons attentifs à toutes les initiatives à gauche, nous pointerons les lieux de résistance sociale, et nous donnerons à partir de la mi-septembre une large place au débat d’idées. Nous vous en reparlerons très prochainement.

[^2]: Tribune dans Libération du 24 août.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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