Qui veut la peau de Darwin ?

L’offensive créationniste inquiète de plus en plus les chercheurs et les enseignants, invités à remettre en cause la théorie de l’évolution. Un colloque est organisé les 19 et 20 octobre sur le sujet.

Ingrid Merckx  • 18 octobre 2007 abonné·es
Qui veut la peau de Darwin ?
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Depuis 1859 et la diffusion de l’Origine des espèces de Charles Darwin, la théorie darwinienne est l’objet d’attaques. Aux États-Unis, les fondamentalistes protestants militent pour introduire dans les textes de loi la théorie dite « créationniste », selon laquelle l’homme est de création divine. En juillet 1925, à Dayton, un professeur de sciences naturelles est condamné pour avoir enseigné le principe de l’évolution et contredit, ce faisant, une loi promulguée par l’État du Tennessee trois mois plus tôt, interdisant « toute théorie qui nie l’histoire de la création divine de l’homme telle qu’elle est enseignée dans la Bible et qui prétend à la place que l’homme descend d’un ordre inférieur d’animaux » . En opposant Darwin à la Bible, le « procès du singe » signale à la fois une victoire de la religion sur la science et le degré d’exposition des professionnels de l’éducation face à la controverse.

Illustration - Qui veut la peau de Darwin ?


Lors de l’exposition Darwin à New York, en 2005. EMMERT/AFP

Avec sa laïcité républicaine et son école publique, la France s’est toujours crue armée contre de telles offensives. Mais cette confiance peut vaciller. En 2004, le groupe Sciences de la vie et de la terre du Syndicat national des enseignants de second degré (Snes) a lancé un groupe de travail sur le darwinisme après avoir entendu un parent d’élève demander pourquoi ils n’enseignaient pas d’autres théories. Et, en février 2007, un ouvrage créationniste musulman, l’Atlas de la création , est arrivé par la poste dans des centaines d’établissements français (voir p. 6). Pour faire le point, le Snes a décidé d’organiser un colloque, les 19 et 20 octobre, sur le thème : « La théorie de l’évolution, entre remise en cause et instrumentalisation ».

Précaution exagérée ? Voire. Depuis quelques années, les théories créationnistes se drapent dans un déguisement scientiste qui peut troubler. « Vendez de la science… Qui peut objecter à l’enseignement de plus de science ? N’utilisez pas le mot créationnisme. Parlez uniquement de science. Expliquez que retenir de l’information scientifique contredisant l’évolution revient à de la censure et s’apparente à un dogme religieux… », recommande un journal créationniste cité dans l’ouvrage dirigé par Patrick Tort, Pour Darwin .

Le diable, c’est lui, Darwin, représentant d’un matérialisme forcené qui interdirait le dialogue entre la science et la spiritualité. Et le discours se politise, les anti-darwiniens se faisant les promoteurs du « doute est permis », et par là même les chantres du débat ouvert et de la démocratie.

En France, l’opposition se cristallise autour de deux camps. Le premier a publié dans le Monde, en février 2006, un « Manifeste pour une science sans a priori ». « Si les scientifiques renoncent à la réflexion métaphysique et spirituelle, ils se couperont de la société » , préviennent les signataires. Réunis autour de l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), ils se disent opposés au créationnisme mais favorables à une science « la plus ouverte possible ». Ils réprouvent le programme politique de l’ Intelligent Design , mouvement créationniste américain qui souhaite modifier les programmes scolaires. Mais un de leurs chefs de file, « non-darwinien » (admirez la litote !), Jean Staune, déclare ouvertement regretter que la loi de 1905 empêche de contester les théories darwiniennes dans les écoles publiques, et se félicite de pouvoir le faire dans les écoles libres.

Le deuxième camp rassemble des scientifiques attachés à la distinction entre science et spiritualité. Dans « Pour une science consciente de ses limites », pétition parue en juillet 2006 dans Le Monde en réponse au manifeste des membres de l’UIP, ils rappellent que la science a des limites méthodologiques, qu’elle ne s’occupe que de faits appréhendables expérimentalement, et qu’un scientifique ne peut pas, dans le cadre de son travail, se servir d’elle pour démontrer des propositions métaphysiques, morales ou politiques. Selon les signataires, parmi lesquels Guillaume Lecointre, biologiste identifié comme le principal détracteur de Jean Staune, l’UIP, établissement financé par la fondation Templeton « pour le progrès de la religion », transgresse ces limites en promouvant des professionnels qui incluent leur quête métaphysique dans leur recherche scientifique.

La question n’est pas de savoir si Darwin a raison ou tort : « L’oecuménisme s’enveloppe d’une parade démocratique, met en garde Patrick Tort. Mais une vérité scientifique n’est pas une question de démocratie ! On ne vote pas pour ou contre Darwin, on discute ses théories dans un cadre scientifique » (voir pp. 5-6). La question est d’identifier la reprise d’un vieux combat opposant les matérialistes aux mystiques. « Les vérités révélées, les spiritualités et les idéologies tentent d’une manière récurrente de s’imposer dans les résultats de la science, soulignent les signataires du texte « Pour une science consciente de ses limites ». Il s’agit plutôt d’une remise en cause des moyens de penser rationnellement le monde. La science retournerait ainsi à un état antérieur à son émancipation du pouvoir théologique au XVIIIe siècle. Il ne s’agit pas d’interdire de penser quoi que ce soit, mais il est de notre devoir de scientifiques […] d’avertir le public qu’il ne s’agit plus de science. » Au public, ensuite, de réfléchir en conscience.

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