Exclusif : entretien avec le responsable international du Hezbollah

Denis Sieffert a rencontré Nawaf al Moussawi à Beyrouth, le 8 novembre. Le «ministre des Affaires étrangères» du Hezbollah analyse la crise inter-libanaise et ses implications dans tout le Moyen-Orient. Un entretien publié en intégralité dans le prochain Politis (en kiosque le 22 novembre), complété ici par un court glossaire pour mieux comprendre la crise libanaise.

Denis Sieffert  • 16 novembre 2007
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« Les Etats-Unis ne veulent pas de consensus au Liban »

D.S. : Comment analysez-vous la crise actuelle ?
N.a.M. : Selon la constitution, il faut une majorité des deux tiers. Personne ne dispose de cette majorité. Il nous faut donc un candidat de consensus. Mais la partie est très difficile. Notamment parce que les Etats-Unis, dont l’influence est toujours importante, n’y ont pas intérêt. Ils n’ont qu’une idée en tête : éliminer le Hezbollah. Comme vous le savez, ils ont essayé au cours de l’été 2006 au travers de l’agression israélienne. Mais Israël n’était pas capable de réaliser cet objectif. Aujourd’hui, les Etats-Unis poursuivent toujours le même but et tentent de créer de nouvelles occasions. Une guerre israélo-syrienne ou une guerre civile au Liban. Ou une guerre civile qui entraînerait une intervention syrienne. Aujourd’hui, au Liban, le rapport de force est en faveur de l’opposition. Seule une situation de guerre pourrait changer ce rapport de force.

Vous parlez d’une guerre israélo-syrienne, mais vu d’Europe, nous avons plutôt l’impression que c’est une guerre américano-iranienne qui se prépare…
Celle-ci me semble plus inéluctable encore. Pour des raisons qui tiennent à la maîtrise des champs pétroliers. Les Etats-Unis veulent aussi affaiblir l’Iran et lui infliger des blessures profondes.

Pour en revenir plus spécifiquement à la crise libanaise, on a l’impression que le Hezbollah se fait très discret, qu’il se réserve le droit de récuser des candidats mais qu’il n’a pas de candidat…c’est bien cela ?
Nous avons un candidat que nous soutenons. C’est le général Aoun. Il n’est pas issu du « 14-Mars », mais il n’est pas issu non plus du « 8-Mars ». Et il est majoritaire dans la communauté chrétienne maronite.

Que pensez-vous de la position française ?
Il y a un paradoxe libanais. Malgré l’alignement de la France sur les Etats-Unis, sa position reste traditionnelle au Liban.

Au cours de la guerre de l’été 2006, on avait l’impression que tout le Liban était derrière le Hezbollah. A peine plus d’un an plus tard, le Hezbollah semble presqu’isolé…
Ce sont des images superficielles. En 2006 déjà, une partie de l’opposition a tenté de tirer profit de l’agression israélienne. Aujourd’hui, les mêmes font pression pour obtenir ce qu’Israël veut obtenir, c’est-à-dire le désarmement du Hezbollah. Mais nous ne sommes pas isolés. Les relations sont au mieux avec Amal (il fait le geste des deux mains soudées). Et les alliés chrétiens du Hezbollah, au travers de Michel Aoun et de Suleiman Frangié, étaient avec nous pendant la guerre. Ils sont toujours avec nous aujourd’hui. Rien n’a changé. Quand on entend les médias qui sont aux mains de la majorité, ils tiennent le même discours que les médias israéliens. A cette différence près, que les médias israéliens défendent les intérêts d’Israël… Alors que ces médias libanais ne défendent pas les intérêts du Liban…

Puisque vous parlez d’Israël, comment voyez-vous la prochaine réunion d’Annapolis ?
Il n’y a aucune chance de parvenir à un accord. Gaza est isolé et les principales villes de Cisjordanie sont encerclées par des colonies. Le droit au retour des réfugiés est refusé, tout comme le retrait des territoires occupés. Dans ces conditions, on peut craindre que cette réunion n’ait qu’un seul objectif : obtenir la normalisation des relations entre les pays du Golfe et Israël avant une attaque contre l’Iran.

Le Hezbollah est souvent présenté comme une simple dépendance de l’Iran en terre libanaise. Que répondez-vous à cela ?
Que nos relations avec l’Iran sont beaucoup moins étroites que celles qu’entretenaient les Etats-Unis avec les Contras au Nicaragua dans les années 80…

En 2006, vous êtes apparus comme les agresseurs parce que l’offensive israélienne a été lancée après l’enlèvement par le Hezbollah de deux soldats israéliens…
La guerre n’a pas été le résultat d’un incident mais d’une décision réfléchie de la part d’Israël. Des incidents, il y en a sans cesse. En 2000, nous avions enlevé des soldats et cela n’a pas provoqué la guerre. Vous devez surtout savoir que les violations de l’espace libanais par Israël sont très nombreuses. Du 25 mai 2000 au 11 juillet 2006, nous avons recensé 11 000 cas de violation de l’espace libanais, par mer, par air et au sol. L’enlèvement des soldats s’inscrit dans ce contexte-là. Et ces jours-ci encore, la Finul vient de protester contre les survols du sud Liban par l’aviation israélienne.


Pour mieux comprendre la crise libanaise…

Selim Hoss a été cinq fois premier ministre, de 1976 à 1980, de 1987 à 1990, en 1988 et 1989, puis en 1989 et 1990, et enfin de 1998 à 2000. C’est l’un des leaders historiques de la communauté musulmane sunnite. Il anime aujourd’hui le Forum pour l’Unité nationale. C’est un économiste plutôt anti-libéral qui se revendique de la « troisième force », c’est-à-dire n’appartenant ni au bloc dit « pro-syrien » du « 8-Mars », ni au bloc dit « pro-occidental » du « 14-Mars », mais à « équidistance » de ces deux forces majeures. Il est considéré comme un homme politique intègre (ce qui n’est pas si fréquent au Liban), un sage. Aujourd’hui âgé de 78 ans, il peut surtout être considéré comme un analyste de la situation libanaise et une référence morale.

Nawaf Al Mousssawi est l’un des plus haut responsables du Hezbollah, le parti majoritaire au sein de la population chiite libanaise (l’autre parti chiite est le mouvement Amal du président du Parlement Nabi Berry) qui constitue la communauté démographiquement majoritaire au Liban. Il est en charge des Relations internationales. Le ministre des Affaires étrangères du Hezbollah en quelque sorte. Le Hezbollah n’est pas seulement un mouvement religieux. C’est un parti politique qui dispose de députés et qui disposait de deux ministres jusqu’à leur démission en novembre 2006. Il possède aussi une branche armée puissante qui a résisté à l’offensive israélienne de l’été 2006. Le fait qu’il reçoive une aide importante, à la fois financière et militaire, de l’Iran et de la Syrie conduit souvent les commentateurs à le réduire à une simple dépendance de ces deux pays. C’est oublier sa profonde implantation sociale. C’est oublier aussi une évolution qui, à partir de son entrée en politique, en 1992, lui a permis de réunir des militants qui ne le rejoignent plus (ou plus seulement) sur des bases religieuses mais parce qu’il incarne la résistance à Israël.

Le « 8-Mars » : allusion à la manifestation monstre organisée par le Hezbollah à Beyrouth, le 8 mars 2006, pour demander le départ du Premier ministre Fouad Siniora. Par la suite, le principal leader de la communauté chrétienne maronite, le général Michel Aoun, animateur du Courant Patriotique Libre, a passé un accord politique avec le Hezbollah (en février 2006).

Le « 14-Mars » : allusion à la démonstration de force à peu près équivalente à la précédente organisée le 14 mars 2006 par le bloc anti-syrien (ou « pro-occidental ») qui comprend notamment le Courant du Futur du sunnite Saad Hariri (fils de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, assassiné le 14 février 2005), les Forces libanaises de Samir Geagea, les Phalanges chrétiennes de l’ancien président Amine Gémayel, et le Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt.

La crise actuelle : Les deux blocs sont à la recherche d’un successeur au président pro-syrien en fin de mandat, Emile Lahoud. Selon la constitution, il ne peut s’agir que d’un chrétien maronite. La constitution prévoit pour son élection une majorité des deux tiers qu’aucun des deux camps de peut obtenir. D’où l’idée d’un candidat de « consensus » souhaité par le Hezbollah, le général Aoun et notamment Sélim Hoss. Si aucun accord n’intervient sur un candidat de consensus, la majorité parlementaire (le « 14-Mars) peut être tentée d’imposer un candidat en force, c’est-à-dire à la majorité simple. Ce qui reviendrait à ouvrir les hostilités avec le Hezbollah. Ce que souhaitent les Etats-Unis. Curieusement, la France joue une autre partition. Elle a renoué avec la Syrie, et plaide pour le consensus. Sans que l’on sache encore s’il s’agit d’une attitude de circonstance pour ne pas encourir le reproche de ne pas avoir « tout tenté », ou d’une stratégie à long terme. En faveur de la première hypothèse, le tropisme pro-américain du tandem Sarkozy-Kouchner. En faveur de la seconde, les intérêts français au Liban, et la connaissance des spécificités libanaises par le Quai d’Orsay.

Monde
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