Une France de propriétaires ?

Dominique Plihon  • 29 novembre 2007 abonné·es

Nicolas Sarkozy veut que tous les Français deviennent propriétaires de leur logement. C’est un slogan politique habile, mais largement démagogique et très dangereux. Ce slogan est habile car il caresse les Français dans le sens du poil. De nombreux ménages souhaitent posséder leur logement, alors que 56 % d’entre eux sont actuellement propriétaires. Ce souhait est fondé sur la croyance ­ ô combien inexacte ! ­ que la propriété du logement serait la source d’une plus grande liberté. Et puis la construction de nouveaux logements serait une mesure « gagnant-gagnant » : à côté des ménages devenus propriétaires, les entreprises du bâtiment et les banquiers, qui sont les alliés politiques de Sarkozy, vont pouvoir augmenter leur activité… et leurs profits.

Il est illusoire de considérer que tous les ménages peuvent devenir propriétaires. Mais, surtout, le modèle de société que Sarkozy veut promouvoir est très dangereux, comme l’illustre la crise immobilière américaine. Par une étrange ironie du sort, Sarkozy et son gouvernement veulent copier le modèle américain au moment où celui-ci est en pleine déconfiture ! Car la crise financière qui a débuté aux États-Unis à l’été 2007 pour se propager ensuite dans l’économie mondiale marque la fin du « rêve américain », comme cela a déjà été montré dans ces colonnes [^2]. Cette crise a été provoquée par l’effondrement d’établissements américains spécialisés dans les crédits immobiliers à hauts risques (subprime) distribués aux ménages les plus modestes. Ces crédits étaient précisément destinés à faire de tous les Américains des propriétaires. Le rêve de ces familles s’est transformé en cauchemar lorsqu’un grand nombre d’entre elles ont perdu leur logement et ont été jetées à la rue, parce qu’elles ne pouvaient faire face à des charges financières excessives. La dette des ménages américains a littéralement explosé : exprimé en pourcentage du revenu disponible, leur taux d’endettement moyen est passé de 62 % à 127 % de 1975 à 2005.

L’endettement des ménages joue un rôle précis dans le capitalisme néolibéral : c’est un moyen de donner une capacité de financement supplémentaire aux ménages pour compenser la baisse de leur pouvoir d’achat liée à un partage salaires-profits qui leur est défavorable. La crise financière résulte d’une contradiction interne de ce capitalisme : les travailleurs ne peuvent être solvables si leur pouvoir d’achat baisse !

En France, alors qu’il ne dépassait pas le tiers du revenu en 1975, le taux d’endettement des ménages s’élevait à 62 % en 2005, après avoir progressé de 15 points en dix ans. Inciter tous les Français à devenir propriétaires de leur logement, notamment par une déduction fiscale des charges financières, c’est le risque d’enclencher la même spirale qui a conduit au surendettement des ménages américains. Du point de vue de ceux qui nous gouvernent, ce processus a le grand mérite de transformer les propriétaires endettés en travailleurs dociles. C’est bon pour la flexibilité du marché du travail ! Car quand on a de lourdes traites à payer à la fin du mois, on ne fait pas grève… D’ailleurs, il n’y a pratiquement plus de grève aux États-Unis depuis deux décennies…

La politique de Sarkozy ne permettra évidemment pas de résoudre la crise du logement pour les quelque 3 millions et demi de mal logés. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), votée en 2000, oblige les villes de plus de 3 500 habitants à offrir 15 % de logements sociaux. Cette loi n’est respectée que par les deux tiers des villes concernées. Par exemple, à Neuilly, le maire Sarkozy s’est mis hors la loi par rapport à ses obligations découlant de la loi SRU. En 2006, seulement 92 000 logements sociaux ont été construits.

La commission Attali, dans ses propositions ultralibérales pour « libérer » la croissance, amplifie les contradictions de la stratégie sarkozienne. Elle propose de construire 500 000 logements par an et de permettre à tous les locataires modestes d’accéder à la propriété d’ici à dix ans à travers des « financements adaptés ». Si ce projet de société voit le jour, les banlieues vont s’étendre et l’habitat va se disperser à la périphérie lointaine des villes selon le schéma d’urbanisation américain. Avec pour conséquence inéluctable une croissance rapide des transports routiers individuels. Et des effets dévastateurs sur l’environnement, ce qui annulera très largement les effets positifs des quelques mesures décidées lors du Grenelle de l’environnement, telles que la mise aux normes environnementales du parc existant de logements…

[^2]: Lire aussi les chroniques sur la crise de Robert Guttmann (n° 946) et de Dominique Plihon (n° 967).

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