Remaniement

Bernard Langlois  • 4 janvier 2008 abonné·es

Voici déjà plusieurs semaines que court le bruit d’un possible remaniement ministériel, qu’on suppute sur les chances de durée de tel(le) ou tel(le) ministre, voire du premier d’entre eux, et sur l’entrée en sarkozysme de nouvelles recrues venues du PS (dont un Jack Lang qui n’en pourrait plus d’attendre) : probable, mais sans doute prématuré.

Nous avons eu droit, en revanche, à un remaniement de nature plus intime : Mme Carla Bruni, ancien mannequin et chanteuse de son métier, est désormais la nouvelle compagne du chef de l’État avant de devenir, peut-être, la première dame de France en remplacement de Cécilia.
En effet, selon des sources dignes de foi, Nicolas, fort épris, aurait fait sa demande en mariage, à laquelle la belle réfléchirait encore ; et pour preuve du sérieux de cette liaison maintenant officielle, le président de la République, se rendant au Vatican pour y être adoubé chanoine du Latran [^2], avait convié dans sa suite sa future belle-maman (Mme Bruni mère, encadrée par le curé des loubards Guy Gilbert, le comique troupier Jean-Marie Bigard – vous avez dit Bigard ? – et l’écrivain de cour Max Gallo, il faut reconnaître que l’attelage ne manquait pas d’allure…). Une rumeur dit même que par dispense papale, et nonobstant le double divorce du fiancé et la réputation sulfureuse de la promise (au carnet de bal impressionnant…), les noces pourraient être célébrées à l’église ! Nicolas de Neuilly-Bosca aurait-il circonvenu Sa Sainteté Benoît XVI comme jadis à Fontainebleau – Commediante, tragediante ! – Napoléon Bonaparte tenta de le faire avec son prédécesseur Pie VII ?

Nous ne saurions croire de telles balivernes !

Pornographie
Mais on est en droit de penser que le moment choisi par le président bling-bling pour dévoiler ses nouvelles amours ne doit rien au hasard.
La visite de Kadhafi eût-elle été un franc succès que la révélation aurait sans doute attendu quelques jours de plus – le cadre somptueux des bords du Nil par exemple, décor tout de même plus prestigieux que Disneyland. Mais le séjour du Guide libyen ayant tourné au fiasco et la polémique ayant pris une ampleur imprévue, il convenait de bien vite déplacer les projecteurs sur un terrain moins conflictuel et enchaîner avec une séquence plus glamour. Telle est la loi du spectacle : ne jamais laisser souffler le spectateur, ne pas lui laisser le temps de réfléchir, encore moins d’exercer son esprit critique (ce qu’il en reste après sept mois de traitement de choc) ; et Sarkozy est un maître du spectacle. Le nouveau couple – l’exhibitionniste et la nymphomane – est-il fait pour durer ? Il serait hasardeux d’en faire le pari. Son exposition programmée joue déjà pleinement son rôle dans la stratégie de communication du président bling-bling : la popularité de la nouvelle favorite a même fait l’objet (en concours avec d’autres…), assure-t-on, de tests sondagiers.

L’épisode en dit long, quoi qu’il en soit, sur la personnalité de l’homme que les Français ont porté au pouvoir et que cerne bien le politologue Philippe Corcuff : « Étaler ce qu’on croit “tenir” : objets et lieux luxueux, amis riches et connus, belles femmes, de Fouquet’s en palais présidentiels, cela apparaît frappant chez ce “nouveau riche” de la politique, du spectacle et de l’amour. Dans les noces de l’éros et de l’appétit de pouvoir, l’érotique se transforme même en pornographie [^3]. »

La honte !
Je sais bien qu’il se trouvera des lecteurs pour penser qu’on a tort d’attacher de l’importance à ces sujets somme toute mineurs comparés aux fracas dont résonne la planète, aux périls qui la guettent et même aux maux dont souffre la société française – et qu’aggrave encore la politique antisociale de l’actuel pouvoir.

Je crois au contraire qu’il faut prendre très au sérieux tout ce qui touche à la personnalité et au comportement de Nicolas Sarkozy. Je pense, comme le va répétant Jean-François Kahn, que « ce type est fou » et qu’il s’entoure de « fêlés » (comme il le dit lui-même en parlant de Guaino) ; je pense, comme Alain Brossat (cf. notre dernier numéro), que c’est un « bouffon morbide » une sorte de Berlusconi (la surface financière en moins, ce qui le rend plus corruptible) ; je partage le constat d’Alain Badiou ( « comptable bourré de tics » , « flic agité » , « visiblement inculte » ), qui décrit l’époque comme une sorte de « néo-pétainisme [^4] » : dont, certes, Sarkozy ne saurait être tenu comme le seul responsable, pas plus qu’il n’incarne à lui seul « l’obscénité démocratique » (Debray). Mais qui, par la position véritablement extravagante que son arrivisme forcené et notre bêtise collective ont réussi à lui procurer, accélère puissamment la déliquescence de notre système de représentation et fait, au passage, de notre pays la risée des observateurs étrangers – il n’est que de lire les jugements de la presse étrangère sur l’homme qui règne sur la France pour être édifié : où il est question de « remake de Louis de Funès » de « vulgarité » , d’ « arrogance » ou de « star de soap opera » , où Sarkozy « serait le candidat unique d’un studio de Loft story appelé Élysée [^5] » !

« Au-delà du rire, la honte ! » , comme le dit aussi l’économiste Jean Matouk [^6]. N’est-il pas de la plus grande importance, dans le même temps où l’on dénonce et combat sa politique de guerre aux pauvres et les incohérences d’une politique étrangère qui relève du n’importe quoi, de contribuer à casser l’image que ce bateleur entretient de lui-même, avec encore trop de succès, auprès d’un peuple crédule, formaté par TF1 et ses Feux de l’amour et par une presse pipole ravie et subjuguée, à applaudir aux pires mélos qui lui font oublier ses malheurs ?

Les voeux
Alors, le chroniqueur avait gardé un peu de place pour, en ce 1er janvier 2008, rendre compte des vœux présidentiels, qu’on nous avait annoncés comme rigoureusement nouveaux, dans le fond comme sur la forme : on allait voir ce qu’on allait voir !
Avant d’aller rejoindre quelques amis pour le réveillon, on s’était donc installé vers 20 heures devant le téléviseur, œil et oreille aux aguets. Contrairement à ses prédécesseurs, le Président avait décidé de s’exprimer en direct et – disait-on – de nous adresser un discours bref et improvisé. Ce fut en direct (on veut bien le croire, même si rien ne distinguait ce direct d’un différé), mais sûrement pas improvisé : lu au prompteur, comme avant lui Chirac ou Mitterrand, avec un débit de mitraillette et sans la moindre originalité, ni quelque trait saillant méritant qu’on s’y attarde, avec l’encadrement de la Marseillaise de rigueur.
Du moins, en cet exercice de la Saint Sylvestre, Nicolas Sarkozy n’innovait en rien, ni du coup ne choquait non plus. R.A.S.

Fidélité
On en profitera donc pour laisser là la politique et présenter ses devoirs à l’amitié. Je vous avais quittés avec Vasca, je vous invite à la bonne année avec Bertin. Pour qui ne connaîtrait pas l’ami Jacques, cet enregistrement public (techniquement impeccable : prêtez donc l’oreille au pas des chevaux dans les « renforts » !) réalisé en février 2007 lors de son passage au Théâtre du Gymnase-Marie Bell est une excellente introduction à son œuvre, qui ne se laisse pas si facilement pénétrer. On y trouve mêlées chansons anciennes (comme la « Fête étrange », peut-être ma préférée, ou « Trois bouquets », « Paroisse »…) et de plus récentes, comme celle qui donne son titre à ce CD : « Que faire ? » (laissez Lénine de côté…) ou « La Beauté du monde », en hommage à cette jeune fille blonde « à jamais à moi mêlée » dont il demande à ses amis de conserver le souvenir « et l’usage de son nom »

Fidélité, maître mot et pierre angulaire de la vie comme de l’œuvre de Bertin : à l’enfance, à la terre natale où coule la Loire, aux amis, aux amours, aux principes qui fondent une morale personnelle, aux engagements de la jeunesse ; fidélité dont le poète se demande s’il n’en a pas fait « beaucoup plus qu’il n’en faut » (sûrement, Jacques, mais ce « trop » , s’il ne t’a pas rendu la vie facile, a eu sa raison d’être, qui est de compenser nos frivolités ordinaires, n’est-ce pas ?) ; fidélité aux « chants des hommes » , que Bertin célèbre ici encore par le magnifique poème de Nazim Hikmet, avant le passage final des « biefs » qui clôt l’ouvrage ouvert par « le retour à Chalonnes » (on parlera peut-être un jour de « l’ermite de Chalonnes » , comme on disait de cet autre récemment disparu en son refuge tout proche de Saint-Florent-le-Vieil). Écoutez donc le message adressé à notre époque débile : « Tout meurt, tu sais, d’aller trop vite [^7]… »

Bertin, ou l’anti-Sarkozy, en somme.

[^2]: Titre traditionnellement lié à la fonction de président de la République française (de même que celui de co-prince d’Andorre). Au fait, savez-vous quand fut créé le corps des chanoines ? C’est après la multiplication des pains, quand Jésus dit aux apôtres : « Ramassez les croûtons ! »

[^3]: « Possession et maîtrise : l’érotique du pouvoir selon Sarkozy », par Philippe Corcuff, 23 décembre 2007, www.rue89.com

[^4]: Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ? Circonstances 4, Lignes.

[^5]: Voir Le Monde du 28 décembre.

[^6]: « Bruni, Sarkozy et la confusion des deux “corps du roi” », par Jean Matouk, 24 décembre 2007, www.rue89.com

[^7]: Que faire ? 40 ans de chanson, Jacques Bertin. Disques Velen. http://velen.chez-alice.fr

Edito Bernard Langlois
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