Appelez le responsable !

Serge Latouche  • 15 mai 2008 abonné·es

Dans cette société de croissance, les activités les plus légitimes, comme se nourrir ou se vêtir, deviennent toxiques, sinon criminelles. Les entreprises fabriquant les produits les plus louables (des médicaments…) peuvent devenir les plus « néfastes » par leur organisation, leurs techniques, leurs politiques ou leur taille. Cela résulte de l’absence de limites au cœur de la logique productiviste
– recherche du profit, prédation des ressources naturelles ou exploitation des hommes.
On reproche souvent aux objecteurs de croissance de ne pas incriminer les « responsables ». Cette nostalgie révolutionnaire reste prisonnière d’une vision manichéiste héritée de la gauche marxiste, avec une lutte de classes réduite à l’antagonisme bourgeoisie-prolétariat. Malheureusement, ce n’est pas si simple.
Qu’il y ait des conflits d’intérêts irréductibles, c’est indéniable. Qu’une révolution soit nécessaire est une évidence. Mais comment se fera-t-elle ? Contre qui et quoi ? Nous sommes tous peu ou prou contaminés par le virus consumériste.

La décolonisation de l’imaginaire est une thérapie collective lente. Nécessairement « réformiste » dans sa réalisation et « révolutionnaire » dans sa visée. Les objecteurs de croissance sont en général non-violents par conviction. Il est possible, toutefois, que l’élimination des obstacles ne puisse être effective sans violence. À voir les attaques du lobby des semenciers pour défendre les OGM, on peut imaginer les réactions de la « World Company » si la menace touchait le système en son cœur. Il est donc important d’identifier, dans ce complexe protéiforme dont nous sommes en partie complices, les « entités » les plus fortement responsables. Citons, pour ouvrir un débat : la publicité, source majeure de pollution matérielle, sensorielle, spirituelle ; la grande distribution, destructrice d’emplois, consommatrice d’énergie, broyeuse de petits producteurs ; la chimie agroalimentaire, contaminant la chaîne alimentaire et les eaux en polluants cancérigènes et reprotoxiques ; les grandes infrastructures et travaux destructeurs de la cohérence des territoires, favorisant un bétonnage mafieux ; les transports sur longue distance des marchandises et des hommes, gaspilleurs d’énergie ; l’armement et le nucléaire, bien sûr, mais cela va de soi…
Cette liste n’est ni fermée ni parfaitement cohérente, parce que la plasticité de l’adversaire n’a d’égale que sa puissance.
La complexité même de l’architecture du pouvoir économico-financier n’est pas la moindre difficulté à surmonter pour sortir de la société de croissance.

Écologie
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Environnement : l’Union européenne recule de dix ans
Vidéo 2 décembre 2025

Environnement : l’Union européenne recule de dix ans

Le mois dernier, le Parlement européen a adopté Omnibus 1, un ensemble de normes qui mettent à mal des décennies de conquêtes sociales et environnementales. Décryptage vidéo.
Par Caroline Baude
En Guyane, le mastodonte logistique de l’orpaillage illégal
Reportage 26 novembre 2025

En Guyane, le mastodonte logistique de l’orpaillage illégal

Près de 80 % des activités liées à l’extraction illicite de l’or en Guyane se concentrent sur le Haut-Maroni. Depuis la rive surinamienne, les garimpeiros – orpailleurs clandestins – ont édifié un système bien huilé pour exploiter le sol français.
Par Tristan Dereuddre
Orpaillage : le mercure, un poison pour la terre et les humains
Reportage 26 novembre 2025 abonné·es

Orpaillage : le mercure, un poison pour la terre et les humains

En fin de processus d’extraction, les orpailleurs illégaux utilisent de grandes quantités de mercure pour séparer la terre de l’or. Hautement toxique, ce métal lourd contamine non seulement l’environnement mais aussi les peuples du fleuve Maroni.
Par Tristan Dereuddre
Au Chili, sur l’île de Robinson Crusoé, comment la pêche est restée durable
Reportage 19 novembre 2025 abonné·es

Au Chili, sur l’île de Robinson Crusoé, comment la pêche est restée durable

Perdu au milieu du Pacifique à 670 kilomètres des côtes chiliennes, l’archipel mondialement connu pour avoir inspiré le célèbre roman de Daniel Defoe est aussi un bijou de biodiversité marine que ses habitants ont su conserver depuis plus d’un siècle. Au contraire des ressources terrestres, qui se trouvent dans un état alarmant.
Par Marion Esnault