Cannes 2008 : « Quatre nuits avec Anna » de J. Skolimowski, « Les sept jours » des Elkabetz, « Hunger » de S. McQueen.

Christophe Kantcheff et Ingrid Merckx sont à Cannes pour le Festival du cinéma. Retrouvez chaque jour sur Politis.fr leurs billets en direct de la Croisette.

Cannes 2008  • 15 mai 2008 abonné·es

Quatre nuits avec Anna de Jerzy Skolimowski ; Les Sept jours de Ronit et Schlomi Elkabetz

Par Ingrid Merckx

40X15 . C’est le titre du documentaire réalisé par Olivier Jahan à l’occasion des quarante ans de la Quinzaine des réalisateurs. Curieusement, ce film, qui retrace l’histoire de cette manifestation indépendante créée au sortir de 68 et considérée comme son versant le plus cinéphile, ne sera projeté que dimanche 18 mai, en plein cœur du festival.

Car la Quinzaine a préféré ouvrir son édition 2008 avec un événement : le nouveau film de Jerzy Skolimowski, figure du cinéma polonais, et du cinéma tout court, qui n’avait pas tourné depuis 17 ans. Abîmé, a-t-il confié après la projection, par sa dernière expérience de film. Il lui aura fallu du temps, plus qu’il ne le croyait, et retourner à la peinture, pour « retrouver l’artiste en lui » , et pouvoir croire, de nouveau, qu’il était possible de réaliser un film « sans compromis » , c’est-à-dire, « sans pressions commerciales sur le dos » .

Ce film, c’est Cztery noce z Anna, Quatre nuits avec Anna . Un conte réaliste et surréaliste à la fois, qui s’amuse à brouiller les frontières, à faire croire à une chronique funèbre quand se profile une histoire d’amour, à un cauchemar quand il s’agit d’un fantasme, à la violence pour laisser ressortir la douceur. Témoin d’un viol, Léon (épatant Arthur Steranko, acteur de théâtre déniché par le cinéaste) tombe amoureux de la victime, Anna. Trop timide et introverti pour lui parler, il préfère s’introduire chez elle la nuit. Quatre nuits exactement, avant d’être surpris.

Illustration - Cannes 2008 : « Quatre nuits avec Anna » de J. Skolimowski, « Les sept jours » des Elkabetz, « Hunger » de S. McQueen.

Baigné dans des tons gris et bruns, un climat pluvieux, neigeux ou hivernal, des séquences presque burlesques dans des nuits avec lune, Quatre nuits avec Anna empreinte résolument son cadre et sa patine à la peinture. On imagine un trait au pinceau large brossant des silhouettes courant dans des forêts, cachées derrières des fauteuils ou remontant de la pénombre d’une cave, des visages de profil, des corps endormis, des yeux perçants dans le noir…

Autre ouverture ce 15 mai, celle de la Semaine de la critique avec le deuxième film israélien du festival, Les sept jours . Écrit et réalisé par Ronit et Schlomi Elkabetz, respectivement sœur et frère, Les sept jours se déroule en Israël, en 1991, sous les alertes à la bombe et en pleine semaine de deuil. La grande famille Ohaion, qui doit enterrer l’un des siens, se doit, pour respecter la coutume religieuse, de tenir le deuil comme on tient un siège, dans la maison de la veuve. Une semaine enfermé ensemble… La guerre dehors, la guerre dedans : Ronit et Schlomi Elkabetz campent une tragi-comédie chorale entre larmes et rires. Le ton est donné dès la première scène, où toute la troupe pleurante se penche bruyamment sur la fosse qui vient d’engloutir le cercueil. Une sirène sonne et tous de mettre des masques à gaz puis de continuer à pleurer et à prier sous leur becs de plastiques. Drôles d’oiseaux… Ce sont ces mouvements de groupe que les deux cinéastes se sont le plus amusés à filmer.

Tout finira par sortir lors d’une explosion mémorable : ils se tiennent debout, les cheveux défaits, le verbe haut, prêts à s’empoigner. Une vraie meute dans un huis-clos d’interdits. Il faut attendre cette fameuse scène pour que Les sept jours se défasse un peu de son caractère démonstratif et atteigne un degré de tension et d’émotion qu’il n’en finissait plus de préparer.

Ce 15 mai, c’est aussi « l’opening day » de l’Acid, programmation parallèle au festival, et dont Politis est partenaire cette année (voir le numéro 1002 en kiosque cette semaine ou en pdf à commander ici ). Direction les Arcades donc, salle « en ville », mais tout près de la Croisette, où l’ Acid tient sa séance du soir, avec un débat. Cette année, c’est un film iranien qui donne le départ : 10 + 4 , de Mania Akbari…


Quatre nuits avec Anna de Jerzy Skolimowski ; Hunger de Steve McQueen

Par Christophe Kantcheff

Il y a dans Quatre nuits avec Anna de Jerzy Skolimowski et Hunger de Steve McQueen (c’est le nom d’un artiste contemporain britannique qui vient de réaliser son premier long métrage de cinéma, aucun rapport avec l’autre…), une mouche qui, à un moment donné, prend une certaine importance. Filmée seule, presque en gros plan dans le Skolimowski, sur le dos, elle peine à se rétablir, à se remettre sur ses pattes. Elle semble ainsi évoquer l’état dans lequel se trouve le personnage principal alors dans le box des accusés d’un tribunal, et dont les yeux se fixent un moment sur la mouche en question. Il y aurait donc là une intention métaphorique.

Peut-être, mais pas pour longtemps. À l’image de ce film plus complexe qu’il n’en a l’air, Skolimowski casse la métaphore puisque la mouche finit par se remettre sur ses pattes, et disparaître du champ, en ne volant pas certes, mais en avançant. Le personnage principal, lui, ne peut prétendre à une si bonne posture.

Dans Hunger , un personnage emprisonné – il s’agit d’un des militants Irlandais de l’IRA – joue avec une mouche qui se tient sur le vassistasse laissant pénétrer la lumière du jour dans la cellule. On a l’impression qu’il voudrait la caresser. Il parvient même à la prendre sur sa main. C’est un moment de tendresse dans un film très dur. Mais aucune intention ici de suggérer la « liberté » de la mouche face à l’enfermement des détenus.

Voilà deux traitements différents de ce qui n’est qu’un petit détail, qui refusent l’un comme l’autre la pesante symbolisation dont d’autres cinéastes, plus laborieux, ne se seraient pas privés. Ou comment, avec une mouche, ne pas en faire des tonnes dans le signifiant tout en évitant l’anecdote…

Un mot encore à propos de ce film de Steve McQueen, qui fait l’ouverture d’Un certain regard. D’abord collectif – la condition extrêmement dure des détenus de l’IRA dans la prison de Maze, auxquels Margaret Thatcher refusait le statut de prisonniers politiques pour les traiter comme des « terroristes » –, le point de vue se fixe ensuite sur Bobby Sands (interprété par Michael Fassbender), qui a décidé de s’imposer une grève de la faim, c’est-à-dire, étant donné l’intransigeance du gouvernement de Londres, d’aller jusqu’à la mort. Hunger tire notamment sa force de ce qu’il montre une réalité qui n’a pas d’images : les sévices contre des prisonniers politiques, la déchéance d’un corps qui n’est plus alimenté. On est loin du « film de gauche », du démonstratif. Hunger ne cherche pas à édifier, mais à explorer ce qui a constitué la volonté extraordinaire de ces militants qui ont une foi inébranlable dans leur cause, mais qui constatent le blocage politique. D’où une solution à la fois pleine d’espoir et désespérée. Qu’ils soient Irlandais dans les années 1980 n’empêche en rien de songer à ceux d’autres pays, d’autres époques et même à certaines situations d’aujourd’hui…

Le film d’Ari Folman vu hier, Valse avec Bachir , continue à exister fortement en moi. J’ai quelques regrets de ne pas en avoir dit plus, de ne même pas avoir mentionné le nom de l’auteur des dessins, Yoni Goodman… Ce n’est que partie remise (au plus tard, la semaine du 25 juin, puisque le film sort ce jour-là).

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