Des luttes pour les publics

Eugène Andréanszky, délégué général des Enfants de cinéma, très impliqués dans la sauvegarde de l’action culturelle, déplore le hiatus entre les discours gouvernementaux et la réalité, faite de coupes budgétaires et de difficultés.

Christophe Kantcheff  • 15 mai 2008 abonné·es

Eugène Andréansky est délégué général des Enfants de cinéma, association missionnée pour mener à bien le dispositif École et cinéma. Les Enfants de cinéma sont partie prenante du Collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle, constitué en début d’année contre les coupes budgétaires, collectif lui-même impliqué dans Sauvons la culture !, qui réunit l’ensemble des champs artistiques. L’ouverture du Festival de Cannes est une bonne occasion pour faire le point sur ces différentes batailles.

Où en est École et cinéma ?
Eugène Andréanszky : On peut être satisfaits sur un point essentiel : au bout d’une bataille de plusieurs semaines, le cinéma a été réintégré aux programmes scolaires du premier degré, alors qu’il en avait été exclu dans le projet présenté par Xavier Darcos. Un dispositif comme École et cinéma ne peut exister si le mot cinéma n’apparaît plus dans les textes de l’Éducation nationale. Cela dit, un autre problème nous inquiète. La ministre de la Culture, Christine Albanel, doit annoncer à Cannes le doublement du nombre des élèves concernés par École, Collège et Lycéens et cinéma, d’ici à 2009.
Bien entendu, nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette volonté que ces projets se développent. Mais faire passer de 550 000 le nombre d’enfants qui actuellement participent à École et cinéma à plus d’un million, l’an prochain, est rationnellement impos­sible, le CNC pourra le confirmer. Depuis huit ans que je suis au poste de délégué général des Enfants de cinéma, je constate que nous faisons toujours plus avec toujours moins d’argent. En 2000, il y avait 9 000 enseignants concernés ; aujourd’hui, ils sont 23 700 ; quant aux enfants, ils étaient 214 000 en 2000, 550 000 aujourd’hui. C’est énorme. Mais, s’il est important pour nous que le projet se développe et touche davantage d’enfants, cela doit se faire selon une extension maîtrisée et le respect du volontariat des enseignants.

C’est-à-dire ?
L’augmentation ne doit pas se faire aux dépens de la qualité. C’est une question de responsabilité. Il faut, en particulier, assurer la formation des enseignants sur le cinéma. Or, aujourd’hui, un dixième d’entre eux seulement ont reçu une telle formation. À Paris, par exemple, sur les 1 200 enseignants inscrits à École et cinéma pour l’année 2007-2008, seuls une vingtaine pourront bénéficier d’une formation de trois jours. Ces formations sur le cinéma, comme sur d’autres domaines artistiques d’ailleurs, disparaissent depuis quelques années. ­L’Éducation nationale les supprime pour des raisons budgétaires. C’est pourquoi ­l’idée d’un doublement en un an est très éloignée de la réalité du projet. Il s’agit juste d’une annonce, qui voudrait nous pousser vers une logique exclusive du ­chiffre. Où est l’exigence, la préservation du qualitatif, et l’argent pour le faire ? En outre, la ministre de la Culture a fait cette annonce sans concertation, ni, semble-t-il, avec l’Éducation nationale, partenaire indispensable, ni avec nous-mêmes, porteurs de ce projet que nous mettons en œuvre concrètement depuis quatorze ans avec rigueur et passion.

Le Collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle a-t-il été entendu par les pouvoirs publics ?
Le 11 janvier, au cinéma Saint-André-des-Arts à Paris, se sont fédérés des acteurs très différents de l’action culturelle, des MJC, des fédérations de foyers ruraux, des salles de cinéma, des réalisateurs, des distributeurs, des producteurs… Le collectif est né et a été reçu au ministère. Mais que dit Christine Albanel ? Que le problème est résolu, qu’il n’y a pas de désengagement de l’État, qu’il n’y a pas de baisses de crédits… Pourquoi cette affirmation en contradiction avec ce qui se passe dans la réalité ? Le Collectif a décidé de collecter les chiffres des subventions et des budgets, région par région, des petites structures en particulier. Et le constat est celui d’une baisse importante des crédits, qui oscille entre 15 et 30 % en moyenne. Pour les Espaces-culture-multimédias, créés en 2000 par la volonté de l’État, la chute peut atteindre 100 % ! Certaines MJC voient leurs subventions baisser de 75 à 80 %.
Certaines associations de salles de cinéma ou des salles qui font des actions spécifiques sur le jeune public sont aussi touchées. Par exemple, la Drac supprime 12 000 euros au Café des images, à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), qui finançait un travail de fond avec les scolaires, mais aussi sur le cinéma d’animation, le documentaire…
Pour le Collectif, le plus choquant, alors que la démocratie culturelle est à l’honneur dans les discours des pouvoirs publics, c’est qu’on s’attaque aux plus faibles. Ceux qui, par exemple, par la conviction de quelques spectateurs réunis dans une salle municipale, ont décidé de créer une association culturelle qui programmerait une fois par semaine un film art et essai en VO, et à qui les 3 000 euros de la Drac sont supprimés. Ce qui signifie la fin de l’association.
Ces décisions sont le signe d’une ­méconnaissance du travail de l’action culturelle qui s’accomplit sur tous les territoires en France.

Le Collectif sera-t-il présent à Cannes ?
Oui, le 21 mai à 17 h, à l’espace Rencontre de la Quinzaine des réalisateurs, nous annoncerons la création du Blac, collectif national de l’action culturelle cinématographique et audiovisuelle. Surtout, nous voudrions mettre en place des états généraux de l’action culturelle cinématographique d’ici au mois de décembre 2008. Pour essayer de définir ce qu’est l’action culturelle cinématographique, faire un état des lieux et des propositions, puis de l’envisager par rapport au fonctionnement du Centre national de la cinématographie, des commissions, des classements art et essai, etc., toutes choses importantes mais qu’il faut peut-être reconsidérer, réexaminer.
Par exemple, nous souhaiterions que les salles ou structures qui accomplissent un travail particulièrement remarquable soient mieux aidées. La formation du public, et plus encore du jeune public, à l’art cinématographique devrait devenir une vraie priorité nationale entre les deux ministères, Culture et Éducation. Le refus récent d’une commission du CNC d’aider le Méliès à Grenoble, où Bruno Thivillier accomplit un travail exemplaire en direction des publics (voir ci-contre), montre qu’il y a là un grave problème. Il faut préserver et profiter de la vigueur et de la diversité du parc des salles, art et essai ou de proximité, publiques et privées, petites ou plus importantes, qui parsèment notre pays. C’est une richesse !

Sauvons la culture ! a récemment lancé un manifeste et organisé une journée de mobilisation le 7 mai. Avec quels objectifs ?
Sauvons la culture ! rassemble symboliquement tous les arts, même si les initiateurs sont venus d’abord du théâtre, du cinéma, des arts plastiques et de la danse. Parce que nous sommes tous concernés par les dangers qui pèsent sur la culture, très vite a émergé l’idée d’une action commune. Pour l’instant, il y a ce manifeste, accessible en ligne ^2, aujourd’hui signé par plus de 8 000 personnes. ­L’idée de la journée du 7 mai était tout simplement de lire et de diffuser ce texte. C’était un geste symbolique. Alors que les difficultés quotidiennes de tous ordres s’accumulent – le coût de la vie, le chômage, etc. –, il n’est pas toujours facile de faire entendre la voix de la culture, qui paraît parfois, aux yeux de certains, accessoire. Or, même dans ces pé­riodes difficiles, l’existence et l’accès à l’art et à la culture doivent être revendiqués. Notamment par ­l’État, et pas seulement dans les discours. Or, aujourd’hui, ­l’État donne l’impression de détricoter unilatéralement ce qui a été construit à travers des politiques successives.

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