« Faire un film avec ses mains »

Documentaire né sur les plateaux d’Aubrac, Combalimon de Raphaël Mathié a commencé sa carrière à Cannes avec le soutien de l’Acid, en 2007. Il doit sortir sur les écrans en septembre.

Ingrid Merckx  • 15 mai 2008 abonné·es

Combalimon. Un nom à la consonance prédestinée puisqu’il recouvre deux combats : celui de Jean Barrès, agriculteur sexagénaire à Saint-Urcize, à la frontière du Cantal et de la Lozère, contre la solitude et la disparition annoncée de sa ferme. Et celui de Raphaël Mathié pour réaliser et donner à voir son premier long métrage sur « cet homme au bord du gouffre dans cet endroit qui se meurt » . Présenté par l’Acid à Cannes, en 2007, Combalimon , le documentaire, doit sortir sur les écrans en septembre. « Un petit miracle, sourit Raphaël Mathié. Une fois que le film a trouvé un distributeur, c’est OK. Mais si Combalimon ne sortait pas, je prendrais une camionnette ! Il y a une friche immense à débroussailler à travers le territoire. Des endroits sans salle avec une énorme demande de cinéma. »

Il est bien placé pour le savoir : c’est dans une salle polyvalente où il projetait son moyen-métrage, Terres amères , western rural tourné en 2004, qu’il a rencontré Jean Barrès. Quand celui-ci lui a proposé de venir filmer chez lui, Raphaël Mathié a hésité : « Il s’agissait de filmer les tourments d’un homme qui se pose la question de la transmission parce qu’il se pose celle de sa mort. C’était pas rien! » Puis il est parti, seul, pour être seul avec cet homme, et comprendre ce qui se jouait pour lui. Raphaël Mathié avait une petite maison de production derrière lui, La Luna Productions, qui avait produit Terres amères . Mais pas un sou. Juste une caméra, et un pied. « J’ai décidé de filmer en plans fixes : comme j’étais aussi le preneur de son, il fallait que je puisse manier le micro. » C’était aussi un parti pris formel pour ce réalisateur, également peintre, qui fait de l’immobilité un choix « presque politique » : « Parce qu’on regarde le monde, on le voit se transformer. Dans un cadre fixe, l’image devient mouvante. On filme le temps qui déborde. » C’est sensible dès les premiers plans de Combalimon , qui montrent Jean Barrès, de dos, jetant des bouts de bois sur un grand tas. « Faut partir sans financement, souffle Raphaël Mathié, faire un film avec ses mains. »
Il a passé plusieurs mois là-haut. Puis il est reparti monter ses images. « C’est long quand on n’a pas d’argent, tout prend du temps, surtout la post-prod : tout est très fragile. » À l’occasion d’une première projection au cinéma l’Archipel à Paris, il est entré en contact avec l’Acid. « Un collectif qui prend des risques pour un autre cinéma, celui qu’on dit “pas facile”. Ils prennent en compte des singularités, ils défendent la création. » Et l’Acid a sélectionné Combalimon pour Cannes, avec un texte de soutien où Dominique Boccarossa salue un film « façonné par l’espace et les êtres qui l’emplissent » . « Cannes est le plus pourri des festivals de cinéma, s’esclaffe Raphaël Mathié en évoquant l’ambiance toc de la Croisette, mais, ajoute-t-il aussitôt, ça a permis de donner une résonance au film » .

Approché par des distributeurs , dont Eurozoom, Combalimon a entamé une carrière dans les festivals : les États généraux du documentaire de Lussas, le Festival européen de Lama, Traces de vie Clermont-Ferrand, Songes d’une nuit DV de Saint-Denis, le Festival de l’environnement de Paris… « Jean a trouvé une nouvelle mission en accompagnant le film ! » , se réjouit le réalisateur. L’Acid œuvrant aussi à l’étranger, Combalimon a été programmé au Festival international du documentaire d’Amsterdam, en novembre 2007, et au Festival international du film francophone de Bratislava, en avril 2008. Pour la sortie commerciale, l’affaire n’est plus tellement dans les mains de Raphaël Mathié, qui travaille déjà à un nouveau projet : une fiction, en milieu rural. « Le plus important, confie-t-il, c’est de répondre à un désir de film. Parfois, ça suit, le film se fait, sans qu’on sache trop comment… On fait comme Jean dans sa ferme, on déplace des petits tas… »

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